Claude, empereur malgré lui
n’allons pas tarder à nous brouiller s’il s’obstine à se mêler des affaires des autres. J’ai regretté la fin du mandat de Pétrone, c’était un brave homme. Le pauvre Silas est toujours en détention. Je lui ai attribué la cellule la plus agréable de la prison et l’ai autorisé à recevoir ce dont il avait besoin pour exhaler par écrit la rancœur que lui inspire mon ingratitude. Ni parchemin, ni papier, bien entendu, seulement une tablette de cire, en sorte que, lorsqu’il en a couvert la surface de ses griefs, il est obligé pour poursuivre de les effacer.
Tu es extrêmement populaire ici, parmi les Juifs, et les phrases sévères que tu as eues dans ta lettre aux Alexandrins n’ont pas été prises en mauvaise part : les Juifs sont prompts à lire entre les lignes. Mon vieil ami, Alexandre l’alabarque, m’a raconté que des copies de ta lettre circulaient dans les différents quartiers de la ville ; elles sont destinées à être affichées et s’accompagnent d’une note rédigée comme suit par le préfet de la cité :
Proclamation de Lucius Émilius Rectus
La population n’ayant pu, en raison de son grand nombre, assister tout entière à la lecture de cette très gracieuse et très sacrée lettre à la cité, j’ai jugé nécessaire de l’afficher publiquement afin que chacun puisse à sa lecture admirer la majesté de notre dieu César Auguste et manifester la gratitude qu’il ressent devant sa mansuétude pour notre cité.
Le 14 août de la seconde année du règne de Tibérius Claudius César Auguste, Germanicus, empereur.
Ils te feront dieu, malgré toi ; veille à la santé de ton corps et de ton esprit, mange bien, dors bien, et ne fais confiance à personne.
« Le Brigand »
Les railleries d’écolier dont Hérode m’accablait au sujet de la faculté avec laquelle j’avais gagné mon titre d’empereur m’atteignirent à l’endroit sensible. La remarque de ma mère qu’il me rappelait me remua aussi : elle me toucha, mais du côté superstition. Jadis – il y a bien longtemps – ma mère avait déclaré, dans un accès de contrariété, alors que je lui annonçais mon intention de proposer l’adjonction de trois nouvelles lettres à l’alphabet latin : « Il y a, en ce monde, trois perspectives inconcevables : la première, que des boutiques traversent d’un bout à l’autre la baie de Naples ; la deuxième, que tu conquières l’île de Bretagne ; la troisième, qu’une seule de tes nouvelles lettres ridicules entre jamais en circulation. » Pourtant, la première impossibilité s’était déjà concrétisée – le jour où Caligula avait construit son fameux pont de Bauli à Puteoli et l’avait bordé de boutiques, quant à la troisième, elle dépendait pour se réaliser de mon bon plaisir, il suffisait que j’en demande la permission au Sénat – alors pourquoi pas la deuxième ?
Une lettre de Marsus arriva quelques jours plus tard avec la mention « urgent et confidentiel ». Marsus était un gouverneur compétent et un homme intègre, encore que compagnon des moins agréables : peu communicatif, froid, le sarcasme facile, ni vices ni fantaisies. Je l’avais nommé à ce poste en remerciement du rôle important qu’il avait joué une vingtaine d’années plus tôt lorsque, à la tête d’un régiment dans l’Est, il avait fait passer Pison en jugement pour le meurtre de mon frère Germanicus. Il écrivait :
… Mon voisin, ton ami le roi Hérode Agrippa, est en train, je le crains, de fortifier Jérusalem. Tu en as certainement été averti, mais ma lettre a pour but de bien te faire comprendre qu’une fois terminées, ces fortifications rendront la ville imprenable. Je ne veux en aucune façon accuser de déloyauté ton ami le roi Hérode, mais en tant que gouverneur de Syrie, je considère ces dispositions avec inquiétude. Jérusalem commande la route de l’Égypte et si elle devait tomber entre des mains irresponsables, Rome serait en grand danger. On dit qu’Hérode craint une invasion parthe ; cependant, il s’était déjà amplement prémuni contre une aussi peu probable éventualité en concluant une alliance secrète avec son royal voisin, à la frontière parthe. Nul doute que tu n’approuves ses avances amicales aux Phéniciens : il a fait de somptueux cadeaux à la ville de Beyrouth et il y construit un amphithéâtre, ainsi que des portiques et
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