Claude, empereur malgré lui

C’est un avertissement divin. Fais chercher Silanus tout de suite et qu’il avoue.   »
    Elle s’élança hors de la chambre pour transmettre le message à l’un de ses affranchis. Je sais maintenant qu’elle le chargea de dire   : «   Les dix jours sont passés. L’empereur t’ordonne de te rendre sur-le - champ auprès de lui et demande une explication.   » L’affranchi, sans comprendre le sens de cette allusion à une période de dix jours, transmit le message après avoir réveillé Silanus. «   Que je vienne   ? Ah certes oui   !   » Il se vêtit en toute hâte, enfonça quelque chose dans un pli de sa robe et se précipita en trébuchant, les yeux égarés, précédant le messager en direction de mes appartements. L’affranchi avait l’esprit vif. Il arrêta un jeune esclave. «   Cours comme l’éclair jusqu’à la chambre du Conseil et dis aux gardes de fouiller Appius Silanus dès son arrivée.   » Les gardes découvrirent la dague cachée et arrêtèrent Silanus. Je le jugeai séance tenante. Il lui fut évidemment impossible d’expliquer la présence de son arme, toutefois je lui demandai s’il avait quelque chose à dire pour sa défense. Il se contenta d’éructer de rage, d’émettre des sons inarticulés, de blasphémer en traitant Messaline de louve et moi de monstre. Comme je lui demandais pourquoi il avait désiré me tuer, il répondit simplement   : «   Rends - moi ma dague, tyran. Laisse-moi m’en servir contre moi-même   !   » Je le condamnai à être exécuté. Il mourut, le pauvre homme, pour n’avoir pas eu l’intelligence de parler.

CHAPITRE 14
     
     
    Ce fut l’exécution de Silanus qui déclencha l’insurrection de Vinicianus. Quand j’annonçai au Sénat, le jour même, que Silanus avait eu l’intention de me tuer, mais que mes gardes avaient déjoué ses plans et que je l’avais déjà fait exécuter, des murmures d’étonnement s’élevèrent, suivis de chuchotements de consternation aussitôt étouffés. C’était la première exécution d’un sénateur depuis que j’assumais les fonctions d’empereur, et personne ne croyait Silanus capable d’une tentative d’assassinat. Tous eurent l’impression que je me montrais enfin sous mon vrai jour et qu’un nouveau règne de terreur allait commencer. J’avais rappelé Silanus d’Espagne sous prétexte de lui faire un grand honneur, mais c’était moi en vérité qui avais nourri le dessein de le supprimer. Tout comme Caligula   ! Bien entendu, inconscient de cette réaction générale, je me laissais même aller à plaisanter en disant combien j’étais reconnaissant à Narcisse de si bien veiller sur ma sécurité, même dans son sommeil. «   N’eût été ce rêve, je n’aurais pas envoyé chercher Silanus et, par la suite, il n’aurait pas eu peur au point de se trahir   ; il aurait attenté à ma vie en y mettant plus de réflexion. Les occasions de m’assassiner ne lui auraient pas manqué, d’autant que ma confiance en lui était telle que je lui épargnais l’affront d’être fouillé.   » Les applaudissements furent clairsemés.
    Plus tard, Vinicianus raconta à ses amis   : «   Ainsi, le noble Appius Silanus a été exécuté pour la seule raison que l’affranchi grec de l’empereur avait fait un mauvais rêve. Laisserons-nous donc une créature aussi faible d’esprit que cette courge de Clau-Clau-Claude nous gouverner   ? Qu’en dites-vous   ?   »
    Tous furent d’avis qu’il fallait remplacer par un empereur énergique et expérimenté ce pis-aller que j’étais, moi l’ignorant, le borné, le demi-fou. Ils se mirent à récapituler mes excentricités ou mes erreurs les plus remarquables. Outre celles que j’aie déjà mentionnées, ils citèrent, par exemple, une décision que j’avais prise quelques jours plus tôt en examinant les listes des jurés. Il faut préciser ici que Rome comptait environ quatre mille jurés qualifiés, tenus d’assister ponctuellement aux procès chaque fois qu’ils étaient désignés, sous peine d’une lourde amende. Cette servitude était extrêmement pénible et impopulaire. Les listes de jurés étaient d’abord préparées par un magistrat de haut rang, et cette année plus de la moitié des citoyens nommés cherchèrent à se faire dispenser sous tel ou tel prétexte, mais dans dix-neuf cas sur vingt, leur demande fut rejetée. Le magistrat me fit enfin tenir les listes pour les soumettre à mon