Claude, empereur malgré lui
publique, j’avais parfaitement le droit de faire ce que je fis alors. J’ordonnai aux orfèvres de dépouiller, en ma présence, le char de l’or et de l’argent à l’aide d’un marteau et d’un ciseau, et de vendre le métal au poids au fonctionnaire du Trésor qualifié que j’envoyai chercher, afin de le fondre et de le transformer en pièces de monnaie. Il y eut de violentes protestations, mais j’imposai le silence en disant : « Un char de ce poids endommagerait le pavé de nos rues : nous devons l’alléger un peu. » Mon flair m’avait fait deviner qui était le propriétaire ; il s’agissait d’Asiaticus qui maintenant se sentait suffisamment en sécurité pour ne rien cacher de ses immenses richesses, bien qu’il les eût dissimulées avec succès aux yeux avides de Caligula en les répartissant en d’innombrables lots déposés chez divers banquiers au nom de ses affranchis ou de ses amis. Le faste qu’il affichait présentement était une incitation directe aux désordres populaires. Et ces aménagements extraordinaires faits dans les Jardins de Lucullus, dont il venait de se rendre propriétaire ! Seuls les surpassaient en beauté les Jardins de Salluste ; mais Asiaticus, pour se vanter, disait : « Quand j’aurai terminé les Jardins de Lucullus, les Jardins de Salluste apparaîtront, par contraste, comme de simples terres en friche. » Il avait fait disposer des arbres fruitiers, des fleurs, des fontaines et des bassins comme on n’en avait jamais vus à Rome auparavant. J’estimai qu’en un temps où la nourriture se faisait rare dans la ville, personne n’apprécierait la vue d’un joyeux sénateur bedonnant en train de se promener dans un char d’argent aux essieux dorés. Et je persiste à croire qu’en cette affaire ma décision fut sage. Mais la destruction sur mon ordre d’une œuvre d’art – l’orfèvre était un artisan habile, celui-là même à qui Caligula avait confié le modelage et le moulage de sa statue en or – fut considérée comme un acte de vandalisme et provoqua chez les amis de Vinicianus une colère plus grande que si j’avais tiré de la foule une douzaine de braves citoyens, pour les mettre en pièces avec le marteau et le ciseau et les vendre comme viande de boucherie. Asiaticus lui-même n’exprima nul mécontentement ; il prit bien soin de ne pas révéler qu’il était propriétaire du char, mais Vinicianus fit grand bruit autour de mon crime. « La prochaine fois, dit-il, il nous arrachera nos toges et il en détissera la laine pour la revendre aux tisserands. Cet homme est fou. Il faut nous en débarrasser. »
Vinicius n’était pas du parti des mécontents. Ayant brigué le trône contre moi, il se doutait bien que je le tenais pour suspect et se gardait bien maintenant de me faire la moindre offense. Il devait, d’ailleurs, savoir qu’il était inutile de chercher si tôt à se débarrasser de moi. J’étais encore très populaire auprès des gardes, et prenais tant de précautions contre un attentat éventuel – escorte permanente en armes, fouille systématique des suspects, esclave chargé de goûter tous les plats en cas d’empoisonnement, serviteurs d’une fidélité et d’une vigilance à toute épreuve – qu’il eût fallu beaucoup de chance et d’ingéniosité à un homme pour m’ôter la vie et s’en tirer indemne. Récemment, deux tentatives de meurtre avaient échoué, toutes deux faites par des chevaliers que j’avais menacés d’être radiés de l’ordre pour cause de délits sexuels. Le premier attendait à la porte du théâtre de Pompée pour m’assassiner à la sortie. Ce n’était pas une mauvaise idée, mais l’un de mes soldats le vit arracher l’extrémité creuse du bâton qu’il portait, découvrant ainsi le fer acéré d’un court javelot, il se précipita sur l’assassin et le frappa à la tête au moment même où il s’apprêtait à lancer l’arme contre moi. L’autre tentative eut lieu dans le temple de Mars où j’offrais un sacrifice. L’arme, cette fois, était un couteau de chasse, mais l’homme fut aussitôt désarmé par les assistants.
En fait, la seule façon de se débarrasser de moi était d’utiliser la troupe ; mais où trouverait-on des soldats pour s’attaquer à moi ? Vinicianus crut découvrir la solution de ce problème. Il fallait obtenir le concours de Scribonianus. Ce Scribonianus était un cousin
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