Claude, empereur malgré lui
enfants pour aller s’enrouler, à la place, autour du corps d’Agamemnon ?
Je convoquai le Sénat en toute hâte et m’adressai à lui en ces termes : « Seigneurs, avant de vous lire cette lettre, je tiens à vous dire que je suis prêt à faire droit aux requêtes qu’elle expose et que j’accueillerai avec plaisir le repos et la sécurité qu’elle me promet en termes plutôt rudes. Une seule raison, en vérité, me détournerait d’accepter les propositions de ce Furius Camillus Scribonianus : la certitude selon vous tous, qu’en me retirant, j’aggraverais la situation du pays. J’admets que, jusqu’à l’an dernier, j’étais resté fort ignorant de l’art de gouverner et des règlements légaux et militaires ; et bien que je m’instruise quotidiennement, mon éducation est encore très incomplète. Tous les hommes de mon âge et de mon rang seraient capables de m’enseigner quantité de procédures banales qui me sont totalement étrangères. Mais ces insuffisances doivent être attribuées à ma constante mauvaise santé et à la pauvre opinion que ma brillante famille – maintenant en partie déifiée – avait de mes facultés lorsque j’étais enfant ; il ne faut en aucune façon incriminer mon manque de dévouement à la patrie. Même à l’époque où je n’envisageais pas d’être nommé à un poste de responsabilité, je m’appliquais à étudier pour moi-même avec, vous le reconnaîtrez, je pense, une louable application. Je prends la liberté de suggérer que ma famille s’était trompée : je n’ai jamais été un sot. J’en ai reçu un témoignage verbal de la part du Dieu Auguste peu après sa visite à Postumus Agrippa sur son île, de la part également du noble Asinius Pollion à la Bibliothèque, trois jours avant sa mort ; il me conseilla même de prendre le masque de la stupidité, comme le premier Brutus, pour me protéger contre d’éventuels assassins désireux de me supprimer pour excès d’intelligence. Ma femme Urgulanille, aussi, dont j’avais divorcé en raison de son humeur querelleuse, de son infidélité et de sa brutalité, avait pris la peine de noter dans son testament – je peux vous le montrer si vous le désirez – sa conviction que je n’étais pas idiot. Les dernières paroles que m’adressa la Déesse Livie Augusta sur son lit de mort ou, peut-être, devrais-je dire « peu de temps avant son Apothéose », furent les suivantes : « Quand je pense que je t’ai toujours traité d’imbécile. » Je reconnais que ma sœur Livilla, ma mère Antonia Augusta, mon neveu le défunt empereur Gaius et mon oncle Tibère, son prédécesseur, ne révisèrent jamais la mauvaise opinion qu’ils avaient de moi ; et que les deux derniers cités en firent état dans des lettres officielles adressées à cette maison. Mon oncle Tibère me refusa un siège parmi vous, sous le prétexte que tout discours prononcé par moi ne pourrait que mettre à l’épreuve votre patience en vous faisant perdre votre temps. Mon neveu Gaius Caligula m’autorisa à siéger, parce que j’étais son oncle et qu’il voulait se montrer magnanime. Mais il décréta que je parlerais le dernier de tous au cours des débats, et déclara publiquement – vous pourrez au besoin retrouver les termes de cette déclaration dans les archives : si un membre du Sénat souhaite se soulager au cours d’une session, il est prié à l’avenir de se contenir courtoisement et de ne pas distraire l’assemblée en se précipitant au-dehors au milieu d’un important discours – le sien par exemple – mais d’attendre que le consul donne le signal d’un relâchement général de l’attention en invitant Tibère Claude Drusus Néron Germanicus (comme on m’appelait alors) à exprimer son opinion sur l’affaire en cours. Et vous, je m’en souviens, vous avez suivi son conseil ; vous n’avez pas supposé un seul instant que je pouvais en être froissé, ou bien vous vous êtes dit que j’avais été si souvent blessé dans mon orgueil que je devais être maintenant cuirassé des pieds à la tête, comme le dragon sans ailes de Tibère ; ou encore, vous étiez du même avis que mon neveu sur le degré de mon intelligence. Cependant, les opinions contraires et motivées de deux Divinités, Auguste et Livie, qui n’ont pas été enregistrées par écrit et pour lesquelles vous devez me croire sur parole, ont sûrement
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