Claude, empereur malgré lui
fis apporter cette liste et nous commençâmes à l’étudier. Je dois avouer que je fus stupéfié par sa connaissance approfondie des aptitudes, du caractère, du curriculum public et privé des vingt et quelques premiers sénateurs de la liste. Chaque fois que je pus vérifier les faits, je constatai que ses renseignements étaient parfaitement exacts, aussi accédai-je volontiers à sa requête. Je ne tins compte de mes goûts personnels que dans quelques cas incertains, où peu lui importait que le nom fût gardé sur la liste ou rayé. Après nous être enquis auprès de Callistus des compétences de certains dans le domaine financier tout en tenant compte de leur valeur intellectuelle et morale, nous supprimâmes environ un tiers des noms pour les remplacer par ceux des meilleurs chevaliers disponibles et ceux d’anciens sénateurs exclus par Caligula pour des raisons dérisoires. Ce fut moi-même qui décidai d’éliminer Sentius. J’éprouvais le besoin de m’en débarrasser, non pas simplement à cause de son discours ridicule devant le Sénat et de sa lâcheté manifeste mais parce que c’était un des deux sénateurs qui m’avaient accompagné au palais au moment de l’assassinat de Caligula pour m’abandonner ensuite. L’autre, à ce propos, était Vitellius, mais il m’affirmait maintenant que s’il était parti aussi précipitamment, c’était pour trouver Messaline et la mettre en lieu sûr, comptant sur Sentius pour rester et veiller sur moi ; je lui pardonnai donc sans arrière-pensée. Je fis de Vitellius ma doublure au cas où je tomberais malade et au cas où je connaîtrais un sort pire encore. Quoi qu’il en soit je me débarrassai de Sentius. Pour justifier sa disgrâce, j’expliquai qu’il ne s’était pas présenté à la réunion du Sénat que j’avais convoquée au palais, ayant fui Rome pour se réfugier dans sa propriété de campagne sans prévenir les consuls de son absence. N’étant pas rentré avant plusieurs jours, il n’avait donc pu bénéficier de l’amnistie. Je dégradai de même un autre sénateur éminent : le cheval de Caligula, Incitatus, qui devait être nommé consul trois ans plus tard. J’écrivis au Sénat que je n’avais aucune plainte à formuler à l’encontre de la moralité de ce sénateur ou de sa compétence pour les tâches qui lui avaient été jusqu’alors assignées, mais qu’il avait perdu l’assiette financière requise. J’avais en effet réduit la pension accordée par Caligula à la ration quotidienne d’un cheval de la cavalerie, renvoyé ses palefreniers et l’avais installé dans une écurie ordinaire où la mangeoire était de bois et non d’ivoire, et les murs badigeonnés à la chaux et non ornés de fresques. Je ne le séparais pas, néanmoins, de son épouse, la jument Pénélope ; cela aurait été injuste.
Hérode me pressa de rester constamment sur mes gardes de peur d’être assassiné, m’expliquant que cette double révision de la liste des sénateurs et de celle des chevaliers, m’avaient suscité beaucoup d’ennemis. C’était bien beau de proclamer l’amnistie, disait-il, mais la générosité ne devait pas être à sens unique. Vinicius et Asiaticus, d’après lui, disaient déjà cyniquement que les balais neufs nettoyaient mieux, que Caligula et Tibère avaient eux aussi débuté leur règne en feignant la clémence et l’intégrité, et que je finirais probablement par devenir un despote aussi dément que l’un ou l’autre. Il me conseilla encore de ne pas pénétrer dans l’enceinte du Sénat avant quelque temps et même alors d’observer le maximum de précautions contre un attentat éventuel. Ceci m’alarma. Il était difficile de doser les mesures de sécurité, aussi me tins-je éloigné du Sénat pendant tout un mois. Entre-temps, j’avais pris ma décision ; je demandai la permission, qui me fut accordée, de pénétrer au Sénat avec une escorte armée composée de quatre colonels des gardes et de Rufrius qui les commandait. J’inscrivis même Rufrius sur la liste des sénateurs, encore qu’il n’eût pas le crédit financier nécessaire, et le Sénat sur ma requête lui accorda l’autorisation de prendre la parole et de voter quand il arrivait en ma compagnie. Sur le conseil de Messaline fut également instituée une fouille préalable de tout visiteur se présentant devant moi au palais ou ailleurs, les femmes et les jeunes garçons y compris. L’idée de
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