Claude, empereur malgré lui
cet homme avait été dûment assigné à comparaître.
— Mais certainement, César.
— Alors pourquoi n’est-il pas ici ?
— Il a malheureusement été empêché de venir.
— Rien n’excuse un non-comparant, sinon une maladie si grave qu’on ne puisse le transporter jusqu’au tribunal sans mettre sa vie en danger.
— J’en conviens, César. Non, le témoin n’est plus malade maintenant. Il l’a été gravement, je crois, mais c’est maintenant terminé.
— De quoi souffrait-il ?
— Il a été déchiré par un lion, m’a-t-on informé, et la gangrène s’est ensuite déclarée.
— C’est surprenant qu’il soit guéri, dis-je.
— Il n’est pas guéri, ricana l’huissier. Il est mort. La mort constitue sans doute une excuse valable pour défaut à comparaître.
Tout le monde se mit à rire. J’étais dans une telle colère que je lui jetai ma tablette à la tête, le privai de sa citoyenneté et le bannis en Afrique.
— Va donc chasser les lions, lui criai-je, et j’espère qu’ils te déchireront bel et bien ; j’espère aussi que la gangrène se déclarera !
Six mois plus tard, néanmoins, je lui accordai mon pardon et lui rendis ses fonctions. Il s’abstint dès lors de toute plaisanterie à mes dépens.
Il serait de bonne guerre de mentionner ici la plus grande fureur que j’aie jamais suscitée contre moi-même au cours d’un procès. Un jeune aristocrate était accusé de s’être rendu coupable à l’égard de plusieurs femmes d’actes contre nature. Les véritables plaignants étaient la Guilde des Prostituées, une organisation officieuse mais bien dirigée qui protégeait efficacement ses membres contre les agissements des ruffians et des malfaiteurs. Les prostituées ne pouvaient guère porter plainte elle-même contre cet aristocrate, aussi s’adressèrent-elles à un homme auquel il avait joué un mauvais tour et qui désirait se venger – les prostituées sont au courant de tout – , et lui proposèrent de déposer au procès s’il portait plainte ; le témoignage d’une prostituée devant un tribunal était valable. Avant que l’affaire ne passe en jugement, j’envoyai un message à mon amie Calpurnia, la jeune et jolie prostituée qui avait été ma compagne avant que j’épouse Messaline et qui s’était toujours montrée envers moi si tendre et fidèle quand j’étais la proie de l’adversité. Je lui demandai de s’enquérir discrètement auprès des femmes qui devaient venir déposer pour savoir si le jeune noble leur avait véritablement fait subir les outrages en question, ou bien si elles avaient été achetées par le plaignant. Calpurnia me fit savoir un ou deux jours plus tard que l’accusé s’était en effet bien conduit de façon odieuse, et que les femmes qui avaient fait appel à la Guilde étaient d’honnêtes filles ; l’une d’entre elles, d’ailleurs, était son amie personnelle.
Je présidai les débats, entendis les témoignages sous serment (rejetant une objection de l’avocat de la défense selon lequel les serments des prostituées n’avaient proverbialement aucune valeur réelle) et les fis enregistrer par le greffier. L’une des filles ayant répété un propos particulièrement grossier tenu par l’accusé, le greffier demanda :
— Dois-je noter ceci, César ?
Et je répondis :
— Pourquoi pas ?
Le jeune aristocrate en conçut une telle rage qu’il eut à mon égard la même réaction que j’avais eue à l’égard de l’huissier ; il me jeta sa tablette à la tête. Mais alors que j’avais manqué mon but, il atteignit le sien. L’angle pointu de la tablette m’ouvrit la joue qui se mit à saigner. Mais je me contentai de déclarer :
— Je suis heureux de voir, Seigneur, que tu es encore accessible à la honte.
Je le déclarai coupable et marquai son nom d’une croix noire dans le Rôle, ce qui le disqualifiait comme candidat à toute fonction publique. Mais il était apparenté par le mariage à Asiaticus, qui me demanda quelques mois plus tard d’effacer cette croix, son jeune parent s’étant récemment amendé. « Je l’effacerai, pour te faire plaisir, répondis-je, mais elle restera visible. » Asiaticus répéta plus tard cette remarque à un de mes amis, la donnant comme preuve de ma stupidité. Il ne pouvait pas comprendre, je suppose, qu’une réputation, selon la formule de ma mère était comme une
Weitere Kostenlose Bücher