Claude, empereur malgré lui
toujours joindre à sa lettre officielle, signée de tous ses nouveaux titres, une épître officieuse signée « Le Brigand » où il me donnerait des nouvelles personnelles. Il accepta à condition que je réponde dans la même veine, en signant « Cercopithèque ». Comme nous nous serrions la main pour sceller cet engagement, il me regarda droit dans les yeux et déclara :
— Ouistiti, veux-tu encore un de mes excellents conseils de fripon ? Je te le donnerai absolument gratuitement cette fois.
— Je t’en prie, cher Brigand, vas-y.
— Eh bien, mon vieil ami, voici mon conseil : Ne fais jamais confiance à personne. Ne fais jamais confiance à ton affranchi le plus fidèle, à ton ami le plus intime, à ton plus cher enfant, à l’épouse de ton cœur, ou à l’allié auquel te lie le serment le plus sacré. Ne fais confiance qu’à toi-même. Ou si tu ne t’en sens pas capable à ta propre chance de fou.
La ferveur de son ton pénétra les joyeuses vapeurs du vin qui embrumaient mon cerveau et éveilla mon attention.
— Pourquoi me dis-tu cela, Hérode ? demandai-je avec vivacité. Ne fais-tu pas confiance à ton épouse Cypros ? à ton ami Silas ? Au jeune Agrippa, ton fils ? Ne fais-tu pas confiance à Thaumastus et à ton affranchi Marsyas, qui t’a obtenu cet argent à Acre et t’a apporté à manger en prison ? Ne me fais-tu pas confiance à moi, ton allié ? Pourquoi m’as-tu dit cela ? Contre qui me mets-tu en garde ?
Hérode eut un rire niais.
— Ne fais pas attention, Ouistiti. Je suis ivre, complètement ivre. Et quand je suis ivre je dis des choses extravagantes. Celui qui a inventé le proverbe « La vérité dans le vin » devait être pas mal imbibé quand il a trouvé cette formule. L’autre jour, figure-toi, au cours d’un banquet, j’ai dit à mon régisseur : « Écoute-moi bien, Thaumastus, je ne veux plus jamais voir servir à ma table du cochon de lait rôti farci de truffes et de châtaignes. Tu m’entends ? — Très bien, votre Majesté », a-t-il répondu. S’il y a pourtant un mets au monde que je préfère à tous les autres, c’est bien le cochon de lait rôti farci de truffes et de châtaignes. Que te disais-je à l’instant ? De ne jamais faire confiance à tes alliés ? C’était plutôt drôle, non ? J’avais oublié un instant que nous étions alliés toi et moi.
Je n’insistai donc pas, mais sa remarque me revint à l’esprit le lendemain, tandis que de ma fenêtre, je regardais la voiture d’Hérode s’éloigner en direction de Brindisi ; je me demandais ce qu’il avait voulu dire et je me sentais mal à l’aise.
Hérode n’était pas le seul roi assistant au banquet d’adieu. Son frère Hérode Pollion, de Chaleis, s’y trouvait également ; et Antiochus à qui j’avais rendu le royaume de Comagène, à la frontière nord-est de la Syrie, dont l’avait dépouillé Caligula ; et Mithridate que j’avais maintenant élu roi de Crimée ; et, outre ceux-là, le roi de la Petite Arménie et le roi d’Osroène, qui avaient tous deux traîné à la cour de Caligula, jugeant plus sûr de se trouver à Rome que dans leurs propres royaumes, où Caligula aurait pu les soupçonner de comploter contre lui. Je les renvoyai tous chez eux.
Autant poursuivre un peu plus loin l’histoire d’Hérode et compléter la relation des événements survenus à Alexandrie avant d’évoquer la situation à Rome et d’esquisser les grandes lignes de ce qui se passait sur le Rhin, au Maroc et sur les autres frontières. Hérode regagna la Palestine, en plus grande pompe encore que la fois précédente. Arrivé à Jérusalem, il enleva du Trésor du temple la chaîne de fer qu’il y avait accrochée en offrande et la remplaça par la chaîne en or que lui avait donnée Caligula car maintenant que Caligula était mort, il pouvait se permettre ce geste sans risquer de l’offenser. Le Grand Prêtre l’accueillit avec respect, mais une fois les compliments d’usage échangés, se hasarda à reprocher à Hérode d’avoir donné sa fille aînée en mariage à son frère ; il ne sortirait rien de bien de cette union, dit-il. Hérode n’allait certes pas se laisser morigéner par un homme d’église, si important et saint fût-il. Il demanda au Grand Prêtre, nommé Jonathan, s’il estimait oui ou non que lui, le roi Agrippa, avait bien servi le Dieu des Juifs en
Weitere Kostenlose Bücher