Claude, empereur malgré lui
souvenir d’un tel incident. Silas, il en était certain, devait se tromper. Mais rien ne peut arrêter Silas. « Tu ne peux pas avoir aussi mauvaise mémoire, insista-t-il. Voyons, c’est à la suite de cette affaire qu’Hérode a dû filer d’Antioche déguisé en chamelier – c’est moi qui lui ai fourni le costume – abandonnant sa femme et ses enfants derrière lui, – j’ai dû les faire monter clandestinement à bord d’un bateau pour les emmener – et effectuer un long détour par le désert de Syrie jusqu’à Édom. Il s’est enfui sur un chameau volé. Non, au cas ou vous vous interrogeriez sur le chameau, ce n’est pas moi qui l’ai volé, mais le roi Hérode Agrippa lui - même. »
Cette sortie m’échauffa considérablement les oreilles, mais il était inutile de nier l’histoire dans ses grandes lignes. Je fis donc de mon mieux pour en minimiser la portée en brodant d’un ton léger le récit suivant : un jour, j’avais senti bouillonner en moi mon sang de fils du désert et, lassé de mener la vie d’un Romain à Antioche, j’avais été saisi du désir irrépressible de partir vers les vastes espaces désertiques pour aller visiter les miens à Édom ; mais sachant que Flaccus me retiendrait – il comptait sur mes conseils en matière politique – je me vis contraint de partir en secret et convins avec Silas que je retrouverais ma famille au port d’Anthédon à la fin de mon aventure. Ce petit voyage fut d’ailleurs des plus agréables. À Anthédon, poursuivis-je, j’avais été accueilli par un messager impérial, qui, n’ayant pas réussi à me joindre à Antioche, m’apportait une lettre de l’empereur Tibère. Ce dernier me convoquait à Rome pour lui tenir lieu de conseiller, parce que mes talents étaient gaspillés dans les provinces.
Asdrubal m’écouta avec un intérêt poli, admirant mes mensonges ; il connaissait l’histoire presque aussi bien que Silas. « Puis-je demander à Votre Majesté, s’enquit-il, si c’était votre première visite à Édom ? Je crois savoir que les Édomites sont d’une race très noble, hospitalière et courageuse, et méprisent le luxe et la frivolité, avec une sévérité primitive que je trouve plus facile, personnellement, d’admirer que d’imiter. »
Et voilà ce balourd de Silas qui de nouveau se croit obligé de mettre son grain de sel. « Oh non, Asdrubal, ce n’était pas sa première visite à Édom. Pour cette première visite j’étais son seul compagnon – à l’exception de dame Cypros, et des deux aînés. C’était l’année où le fils de Tibère a été assassiné. Le roi Hérode avait été obligé du coup de fuir ses créanciers à Rome, et Édom était le seul endroit sûr où il pouvait se réfugier. Il avait contracté des dettes fabuleuses pourtant je l’avais prévenu à maintes reprises qu’un jour il lui faudrait rendre des comptes. Il détestait Édom, à dire vrai, et envisageait de se suicider ; mais dame Cypros le sauva en ravalant sa fierté et en écrivant une lettre pleine d’humilité à sa belle-sœur Hérodias, avec qui elle s’était querellée. Le roi Hérode fut invité en Galilée et le roi Antipas le nomma juge des tribunaux de basse instance ici même dans cette ville. Ses revenus annuels ne s’élevaient qu’à sept cents pièces d’or. »
Asdrubal ouvrait la bouche pour exprimer sa surprise et son incrédulité lorsque Cypros vint soudain à mon aide. Que Silas se répandît en incongruités à mon sujet ne l’avait pas gênée, mais à l’évocation de ce lointain souvenir, sa lettre à Hérodias, elle réagit tout autrement. « Silas, dit-elle, tu parles beaucoup trop et la plupart de tes propos sont inexacts et absurdes. Tu m’obligerais en tenant ta langue. »
Silas devint très rouge et s’adressa une fois de plus à Asdrubal. « C’est ma nature de Samaritain qui me pousse à dire franchement la vérité, si désagréable soit-elle. Oui, le roi Hérode a connu bien des vicissitudes avant d’accéder à la couronne. De certaines, il ne semble pas avoir honte – par exemple, il a réellement accroché dans le Trésor du temple à Jérusalem la chaîne de fer dont il avait été chargé sur ordre de l’empereur Tibère. Il avait été incarcéré pour trahison, figure-toi. Je lui avais bien dit et répété d’éviter les conversations privées avec Gaius Caligula à portée d’oreille
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