Claude, empereur malgré lui
vêtements, fut condamné à servir les deux autres qui s’étaient conduits plus décemment. Cham est l’ancêtre des peuples d’Afrique. Japhet est l’ancêtre des Grecs et des Italiens, et Sem l’ancêtre des Juifs, Syriens, Phéniciens, Arabes, Édomites, Chaldéens, Assyriens et autres. Un vieux dicton prophétique affirme que si jamais Sem et Japhet habitent sous le même toit, il s’ensuivra d’interminables chamailleries au coin du feu, autour de la table et dans la chambre à coucher. Ce qui s’est toujours révélé exact. Alexandrie en offre un parfait exemple. Et si la Palestine tout entière était débarrassée des Grecs, qui n’ont rien à y faire, elle serait beaucoup plus facile à gouverner. De même pour la Syrie.
— Pas pour un gouverneur romain, dis-je avec un sourire. Les Romains ne sont pas de la famille de Sem et ils comptent sur le soutien des Grecs. Il faudrait que vous vous débarrassiez également de nous autres Romains. Mais je suis d’accord avec toi pour regretter que Rome ait jamais conquis l’Orient. Elle aurait été plus avisée si elle s’était contentée de gouverner une fédération des descendants de Japhet. Alexandre et Pompée portent une lourde responsabilité. Tous deux se sont vu décerner le titre de « Grand » pour leurs conquêtes en Orient, mais je ne pense pas que l’un et l’autre aient vraiment servi ainsi leur pays.
— Tout cela s’arrangera un jour, César, répondit Hérode, pensif, si nous faisons preuve de patience.
J’entrepris ensuite d’expliquer à Hérode que je m’apprêtais à fiancer ma fille Antonia, maintenant presque en âge de se marier, au jeune Pompée, un descendant de Pompée le Grand. Caligula avait retiré son titre au jeune Pompée, disant qu’il était trop glorieux pour un garçon de son âge et, que de toute façon, il n’y avait plus qu’un seul « Grand » dans le monde maintenant. Je venais de rétablir le titre, et tous les autres titres dont Caligula avait spolié les nobles familles romaines, ainsi que d’autres emblèmes commémoratifs comme le Torque de Torquatus et la Boucle de Cincinnatus. Hérode cessa de me faire part de ses opinions sur le sujet. Je ne me rendais pas compte que les futures relations politiques de Sem et de Japhet étaient devenues le sujet presque exclusif de ses réflexions.
CHAPITRE 9
Après m’avoir établi sur le trône et indiqué la bonne marche à suivre – c’est ainsi, je suis sûr, qu’il considérait la situation – et après avoir en retour reçu de moi un certain nombre de faveurs, Hérode déclara qu’il lui fallait enfin prendre congé à moins que je n’eusse à lui confier une tâche essentielle qu’il était seul à pouvoir accomplir. Je ne trouvai aucune excuse pour le retenir et j’aurais été obligé de le dédommager en lui donnant encore d’autres territoires pour chaque mois de séjour supplémentaire, aussi après un banquet d’adieu, entouré de toute la somptuosité requise, je le laissai aller. Nous étions tous les deux assez éméchés ce soir-là, je dois l’avouer, et je versai des larmes à l’idée de son départ. Nous évoquâmes notre jeunesse, quand nous allions à l’école ensemble, et à un moment où personne ne semblait écouter, je me penchai en travers de la table et l’appelai par son vieux surnom.
— Brigand, lui dis-je à mi-voix, j’ai toujours pensé que tu serais roi, mais si jamais quelqu’un m’avait dit que je deviendrais ton empereur, je l’aurais traité de dément.
— Petit Ouistiti, répliqua-t-il également à voix basse, tu es un fou, je te l’ai toujours dit. Mais tu as la chance des fous. Et la chance des fous ne se dément jamais. Tu seras un Dieu de l’Olympe alors que je ne serai qu’un héros mort ; oui, ne rougis pas, car il en sera ainsi, encore que nul ne songerait à se demander quel est le meilleur de nous deux.
Cela me fit du bien d’entendre Hérode parler comme autrefois. Depuis trois mois, il ne m’avait adressé la parole que sur le mode le plus cérémonieux et le plus distant ne manquant jamais de m’appeler César Auguste et de n’exprimer que la plus profonde admiration pour mes opinions, même s’il était souvent obligé à regret de les désapprouver. « Petit Ouistiti » (Cercopithèque) était le surnom affectueux que m’avait donné Athénodore. Je suppliai maintenant Hérode, lorsqu’il m’écrirait de Palestine, de
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