Claude, empereur malgré lui
?
— La malaria, la rougeole, la colite, les écrouelles, l’érésipèle. Un bataillon tout entier répond « présent », Xénophon, à l’exception de l’épilepsie, des maladies vénériennes et de la mégalomanie.
Il m’accorda un fugitif sourire.
— Déshabille-toi ! (Je me déshabillai.) Tu manges et tu bois trop. Il faut que cela cesse. Fais-toi une règle de ne jamais te lever de table sans un léger appétit. Oui, la jambe gauche est beaucoup trop raccourcie. Inutile de prescrire de l’exercice. Les massages sont préférables. Tu peux te rhabiller.
Il me posa quelques questions plus intimes, et toujours d’une façon qui montrait qu’il en connaissait la réponse et en obtenait simplement la confirmation prévue par ma bouche.
— Tu baves sur ton oreiller la nuit, bien sûr ?
J’avouai avec honte qu’il en était ainsi.
— Des accès de colère soudaine ? Des contractions involontaires des muscles faciaux ? Un bégaiement quand tu te trouves dans l’embarras ? Une faiblesse occasionnelle de la vessie ? Des crises d’aphasie ? Une rigidité des muscles qui fait que tu te réveilles avec une sensation de froid et de raideur, même par les nuits chaudes ?
Il me parla même du sujet de mes rêves.
Je lui demandai avec étonnement :
— Peux-tu aussi les interpréter ces rêves, Xénophon ? Cela devrait t’être facile.
— Oui, me répondit-il avec simplicité, mais la loi l’interdit. Maintenant, César, je vais te dire ce qu’il en est. Tu as encore de nombreuses années à vivre si tu sais prendre soin de toi. Tu travailles trop, mais je suppose que je ne peux t’en empêcher. Je te conseille de lire le moins possible. La lassitude dont tu te plains est due, en grande partie, à la fatigue de tes yeux. Que tes secrétaires te fassent la lecture de tous les documents qu’il leur est possible de te lire. Évite, chaque fois que tu le peux, d’écrire. Repose-toi une heure après ton principal repas : ne te précipite pas au tribunal à peine ton dessert avalé. Il te faudra trouver le temps d’un massage de vingt minutes deux fois par jour. Tu auras besoin d’un masseur particulièrement compétent. À Rome, les seuls masseurs dont la formation soit satisfaisante sont mes esclaves. Charme est le meilleur : je lui donnerai des instructions s’appliquant spécialement à ton cas. Si tu ne te soumets pas à mes directives, ne t’attends pas à une guérison complète, bien que le remède que je vais te prescrire doive t’apporter une amélioration notable. Par exemple, la violente crampe d’estomac dont tu te plains, la « passion cardiaque » comme nous l’appelons : si tu ne te fais pas masser et si tu manges en toute hâte un repas lourd, alors que tu te trouves dans un état d’excitation nerveuse pour telle ou telle raison, cette crampe se manifestera de nouveau, inéluctablement, malgré le remède que je t’aurai indiqué. Mais si tu suis mes avis, tu seras un homme en bonne santé.
— Quel est ce remède ? Est-il difficile de se le procurer ? Faudra-t-il que j’envoie le chercher en Inde ou en Égypte ?
Xénophon s’autorisa un petit rire grinçant.
— Non, pas plus loin que le plus proche terrain vague. J’appartiens à l’école de médecine de Cos : je suis, en fait, natif de Cos et descendant d’Esculape lui-même. À Cos, nous classons les maladies d’après leurs remèdes, qui sont, pour la plupart, des herbes : absorbées en grandes quantités, elles provoquent les symptômes mêmes qu’elles guérissent lorsqu’on les consomme à dose raisonnable. Ainsi, lorsqu’un enfant mouille son lit après l’âge de trois ou quatre ans et qu’il présente certains autres signes de crétinisme associés à cette incontinence, nous disons : « Cet enfant a la maladie du Pissenlit. » Le pissenlit mangé en excès produit ces symptômes, tandis qu’une décoction de cette même plante les guérit. Quand je suis entré ici pour la première fois et que j’ai remarqué le mouvement convulsif de ta tête, le tremblement de ta main, ton salut légèrement bégayant, sans oublier le son plutôt rauque de ta voix, j’ai fait aussitôt mon diagnostic. « Un cas relevant typiquement de la bryone, me suis-je dit. Bryone, massages, régime. »
— Quoi, la bryone commune ?
— Celle-là même. Je vais rédiger une ordonnance pour sa préparation.
— Et
Weitere Kostenlose Bücher