Clio Kelly et l'éveil de la gardienne

les poings pour les écraser contre le mur dans un geste désespéré, quand, au lieu de s’abattre sur la pierre dure, ils ne rencontrèrent que du vide... et Clio passa à travers !
    Gémissant de douleur, elle jura et maudit l’idiot qui avait construit ce labyrinthe. Elle roula sur le dos et regarda autour d’elle en se demandant où elle était encore tombée ! Cette fois cependant, ce fut un décor qui la rassura quelque peu... Autour d’elle flottait l’odeur si particulière des livres. Elle battit plusieurs fois des paupières pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas puis se redressa.
    — J’en ai assez de toute cette comédie ! hurla-t-elle.
    — Vous venez de quitter le labyrinthe de l’ange Uriel, murmura une voix mélodieuse derrière elle. Cette pièce se nomme la bibliothèque du Savoir.
    Clio se retourna et fit face à une jeune fille d'une dizaine d’années. Sa longue chevelure rousse lui tombait sur les épaules, lui donnant l’air d’un phœnix ; sa peau était si pâle qu’elle semblait ne jamais avoir pris le soleil et ses grands yeux azur la dévisageaient. Elle était vêtue d’une longue robe blanche et, à sa taille, pendait une ceinture de soie jaune.
    — Qui es-tu ? demanda Clio, surprise.
    — Il y a tellement de temps que l’on ne m’a plus demandé mon nom, répondit-elle, rêveuse. Je l’ai moi-même oublié ! Vous pouvez m’appeler Trinity. Bienvenue chez moi ! Vous êtes dans ma prison dorée !
    — Votre prison dorée ?
    L’enfant éluda la question et s’engouffra entre deux rayonnages. Clio se lança aussitôt derrière elle, refusant de rester seule à nouveau. Elle la retrouva en train de contempler l’un des livres. Sans la regarder, la fillette murmura :
    — Vous êtes dans la section Aventure.
    — Dites-moi, qu’est-ce que la bibliothèque du Savoir ?
    — Tout le savoir de la Terre est là. Dès qu’un remède est découvert, il vient se classer dans le rayon qui lui est propre, et à chaque fois qu’un livre est écrit, une copie apparaît ici, pour ne pas être perdue avec les siècles qui s’écoulent. C’est la source de toutes les connaissances.
    Clio s’approcha d’un des rayonnages et laissa glisser ses doigts sur la reliure des livres. Elle s’arrêta sur un ouvrage à la couverture rouge et or.
    — « Vingt Mille Lieues Sous Les Mers » de Jules Vernes...
    Bien qu’elle n’ait jamais aimé cet auteur, elle ne put résister à l’envie de s'en saisir, fascinée par sa beauté. Elle caressa la couverture de cuir, puis avec délicatesse, le reposa et reprit sa marche. Le bruit sourd du roman tombant sur le sol la fit sursauter. Elle pensa aussitôt qu’elle avait dû mal le remettre en place sur l’étagère, mais elle se figea lorsque l’ouvrage sauta du sol et s’ouvrit sur l’un des chapitres !
    De l’eau jaillit soudain de l’opuscule, aussitôt suivie d’un monstrueux tentacule ! Sans prendre le temps de réfléchir, Clio attrapa le bras de Trinity afin de l’entraîner à l'écart de l’horrible créature. Or l’eau qui montait rapidement rendit leur course difficile. Alors qu’elles arrivaient au bout de la rangée, l’une des ventouses les frôla, manquant d'un rien de s’emparer d’elles. Cependant, Clio vit l’appendice frapper un mur invisible qui l’empêcha de les atteindre.
    — Bon sang ! Qu’est-ce que c’était que ça ? demanda Clio, à bout de souffle.
    — Il s’agit de la pieuvre du roman, dit Trinity en haussant les épaules.
    Celle-ci ne semblait pas du tout perturbée par ce qui venait de se produire, comme si elle y était habituée !
    — Toutes les œuvres que tu trouveras en ces lieux sont vivantes, poursuivit-elle, elles prennent vie et se nourrissent des gens qui les lisent.
    — Tu veux dire que tous les plus grands écrivains sont ici ? questionna Clio. Dumas, Rousseau, Voltaire et les autres ?
    — En effet, confirma Trinity. Nous avons pénétré dans la section Histoire. Quand nous sommes sorties du rayon précédent, la pieuvre ne pouvait plus nous poursuivre car elle ne peut prendre vie que là où est sa place.
    — Rassurant ! Et qu’y a-t-il après la bibliothèque ?
    — La salle du gardien, et ensuite, la sortie.
    — Et où est précisément cette sortie ? demanda avec patience Clio qui se retenait d’étrangler l’enfant.
    — Mais après la section Horreur, bien sûr ! s’exclama-t-elle comme si la réponse coulait de source.
    — Parfait !