Clopin-clopant
brave homme. Je me recomposai un
visage amène, quêtai une cigarette, remerciai avec effusion. Et fis durer le
plaisir, jouant avec mon petit cylindre, le mettant derrière l’oreille, le
roulant sous mon nez comme une moustache de gommeux. Finalement, n’y tenant
plus, je l’allumai et tirai une grande bouffée. Qui faillit me tuer. D’autant
qu’il n’y avait pas de doute permis : cette pestilence émanait évidemment
de ma cigarette. Mais, après tout, ne s’agissait-il pas d’une Gauloise d’exportation ?
Arrivée à Orly, je trottai chez le buraliste m’approvisionner
en Gauloises à diffusion nationale. Tout également puantes. Mais, déjà, je me
réhabituais à cette odeur. Délicieuse.
Vade-mecum
Théoriquement, en cette rentrée de vacances, revenue à la
civilisation, j’aurais dû m’arrêter de fumer. Car ce vice n’est réellement
utile qu’en voyage. Les grands aventuriers le savent : un paquet de n’importe
quelle marque, utilisé à bon escient, peut remplacer une pharmacie et autres impedimenta.
Au réveil, nul n’ignore les vertus laxatives de la cigarette
qui dispense du recours aux sachets de Sorbitol.
Au moment de faire le point météo, inutile d’exposer son
index mouillé à une fluxion : la fumée indiquera très précisément d’où
vient le vent.
Durant le petit-déjeuner, quand les guêpes lévitent en vrombissant
sur la tartine avant de faire un piqué sur une pommette, pourquoi perdre du
temps à sortir l’antivenin, la pince à épiler et le reste ? Approcher au
plus près de la zone le bout incandescent d’une cigarette (il va de soi que, si
l’animal s’est logé dans la bouche, rien ne sert d’avaler sa clope).
Lors d’une randonnée dans le maquis, si vous chutez en vous
empaumant sur une défense de sanglier, sans espoir de secours avant une semaine,
chassez la bête en faisant « Ouste », nettoyez la plaie en la suçant,
puis cautérisez avec votre cigarette. Cette solution offre le double avantage d’éviter
la gangrène et d’accélérer l’arrivée des renforts alertés par vos rugissements
de douleur. Tout est bien qui finit bien. L’ennui est qu’au retour on désespère
de pouvoir poser une pièce autocollante sur son pantalon déchiré, faute de fer
à repasser. On pallie ce manque en posant une cigarette incandescente sur l’opercule
bagué d’une canette de Coca. Bien sûr, les maladroits devront prévoir deux
rustines : une pour l’accroc, l’autre pour le nouveau trou.
Dans le genre système D, signalons encore les performances d’une
cigarette pour couper au ras un brin de coton qui dépasse, finir en beauté un
collier de nouilles sur fil à pêche ou un scoubidou multicolore. La cigarette
est l’ami du bricolo et le sèche-larmes des petits enfants malhabiles.
Plus sérieusement, à l’heure où les lions vont boire et où
les moustiques passent à l’attaque, la méthode la plus efficace, selon Che
Guevara, pourtant asthmatique au dernier degré, consiste à s’environner d’un
épais nuage de cigare. Plus près de nous, Jean Echenoz, dans Je m’en vais, préconise
le même système, infiniment plus efficace que les batteries de bombes aérosol, les
bâtonnets et rondelles à brûler et, surtout, que la redoutable essence de
citronnelle qui incommode plus les dormeurs que les anophèles.
Les enfants non fumeurs peuvent dormir sous une moustiquaire.
La cigarette est donc incontestablement écologique. Encore
faut-il s’en débarrasser proprement.
Campus
Un jour, me voyant écraser ma cigarette sur les gravillons, Maurice
me regarda faire, très étonné : « Tu ne connais donc pas la nouvelle
méthode américaine ? – Non, c’est quoi ? – Sur les campus, les
étudiants fendent leur mégot, éparpillent le tabac et roulent le papier en
boulette. S’il y a un filtre, ils le stockent dans leur poche. »
Inutile de préciser que l’épisode se situe dans les années
soixante-dix, avant la phobie antitabac des Américains. J’adoptai cette salubre
méthode, à la satisfaction générale. Je faisais des adeptes, des disciples, du
tabaco-écologisme.
Un jour que, méritoire, je ramassais quelques filtres
éparpillés sous le parasol à Binic en maudissant les Dunhill filtres de Docha, mon
œil myope s’émerveilla de l’éclosion d’une multitude de petites corolles
blanches. M’apprêtant à en cueillir une, j’identifiai une de mes boulettes qui,
telle une fleur en papier japonaise,
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