Clopin-clopant
s’épanouissait sous la rosée du matin. Depuis,
je stocke les boulettes dans mes poches. Elles y forment d’immondes patouilles
pelucheuses qui ouatinent tout linge passé à la machine à laver.
L’herbe à Nicot à Fleury
Après ce b. a. -ba frivole (mais efficace) du parfait
secouriste et du vertueux vert, il convient d’aborder d’autres mérites plus
discrets mais essentiels de la cigarette, notamment comme chasse-spleen, en
particulier dans les endroits hostiles et dépourvus d’équivalents du Lexomil ou
du Témesta : c’est ce que je retire de la lecture de Balzac et la
Petite Tailleuse chinoise dont l’un des héros trouve en la cigarette un adoucissement
aux rigueurs de la révol. cul. dans la Chine pop. Un calmant que le nerveux
prend parfois au péril de sa vie, comme l’atteste L’État SS de Kogon, où
les détenus se volent entre eux pour se procurer du tabac, où les SS tuent pour
un mégot ramassé. Je n’ai pas le courage de relire toute la littérature
concentrationnaire pour ne rechercher que cet épiphénomène dérisoire, mais elle
n’est pas avare sur un sujet qui prend une importance disproportionnée dans la
précarité et la tragédie.
Sans qu’il y ait aucune commune mesure, sinon le confinement,
on en a trouvé confirmation dans le rapport Vasseur sur les prisons. Un témoin
y raconte l’inquiétude d’un détenu à propos d’une erreur dans sa commande de « cantine »
qui risque de le priver de tabac. Et d’ajouter : « Une peccadille
pour quelqu’un de libre ; un quasi-drame en prison où la cigarette est la
meilleure amie de l’homme. » On trouvera à redire à cette dépendance, mais
on ne me fera pas croire que le tabagisme, actif ou passif, est pire en prison
que l’abus de tranquillisants, la drogue, le viol, le Sida, la peur.
La cigarette peut être « la meilleure amie de l’homme »
dans d’autres circonstances ordinaires de tension. Ainsi, tout citadin
rencontrera un jour ou l’autre un groupe jugé hostile et qu’il ne saurait
contourner sans décupler sa propre pétoche. Dans ce cas, sortir une cigarette
et aborder le groupe en demandant du feu. La courtoisie veut que le paquet
circule dans le petit cénacle. C’est une sorte de calumet de la paix à usage
urbain. Rien de mieux pour désamorcer une possible querelle. Ça ne marche pas à
tous les coups.
Néanmoins, partout, se munir de cigarettes. C’est une
fragile garantie de sécurité dans les zones dites à risque où les gens vous
taxent volontiers d’une clope. Se mettre en état d’obtempérer évitera au mieux
un crachat, au pire un coup de couteau (ça s’est vu). Bref, un gentleman, une
grande dame – même non fumeurs – doivent toujours se munir d’une boîte d’allumettes
pour offrir du feu respectivement à une femme ou un évêque. Et d’un paquet de
cigarettes pour calmer les possibles pulsions homicides de vauriens pour qui
une sèche accordée ou refusée n’est qu’un test – quant à moi, je préfère qu’on
me taxe d’une clope que d’une « petite pièce ».
Jusqu’ici, je me suis bien tirée de ces mauvais pas. Je ne
plains pas mes cigarettes aux marlous ou aux clodos, mais j’annonce la couleur :
« Vous savez, ce sont des Gauloises. – Ah ! non merci : on n’en
est pas encore là. » À ceux qui me font l’honneur d’accepter, je donne
généralement le paquet.
Les tapeurs
Les pauvres vous taxent. Les copains vous tapent. Ils me
tapent sur les nerfs, ces fumeurs à la manque ou, pire, ces fumeurs en manque
programmé. Je déteste leur air contrit, repentant, agressif et triomphal :
« J’essaie d’arrêter de fumer. Alors je n’achète plus de cigarettes. Mais
là, je craque. Tu sais ce que c’est, toi, au moins. »
Non, je ne sais pas ce que c’est. Je ne craque jamais. Je n’arrête
jamais de fumer. Et si je décide de réduire ma consommation, j’emporte de quoi
assumer mes trahisons. Je préfère résister à la tentation que de ne pas avoir
de tentation du tout.
L’exhibitionnisme des tapeurs qui veulent me faire
participer à la gestion de leur sevrage m’agace. La théorique humiliation d’avoir
à quémander une cigarette, censée les retenir sur la pente de la rechute, se
transforme vite en outrecuidance.
Ne parlons même pas de la ruse des pingres qui ont trouvé là
un moyen de fumer à l’œil. Il y a des pique-cigarettes comme des
pique-assiettes.
À côté de ces grippe-cibiches, il y a des
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