Clopin-clopant
mouvement, je plonge deux doigts dans le paquet, attrape une
cigarette par un bout et me plante l’autre entre les lèvres. Je l’allume donc
du côté de la marque. Chaque fois que j’en prends conscience, je me fais mon
petit cinéma policier et pense au désarroi du flic trouvant sur les lieux du
crime un cendrier plein de mégots anonymes. Immédiatement, en bon Sherlock
Holmes, j’ai tôt fait de résoudre l’énigme car il est plus facile de trouver l’original
qui a une telle manie qu’un banal fumeur de Gauloises. Pour confondre le
coupable, l’inspecteur l’invite, comme par hasard, à fumer une cigarette filtre
que le suspect allume par ledit filtre. « Beuâââ. » C’est à ces mines
de poupard repoussant sa cuillerée de purée de carottes que Sherlock Holmes le
démasque.
À propos, les psychanalystes de comptoir prétendront
toujours qu’un bébé sommeille en chaque fumeur : il tète. Cette
explication me laisse toujours perplexe dans la mesure où, je l’ai dit, je n’ai
jamais tété que du lait d’ânesse. Un rapport entre Poppée et pomper peut-être. Sûrement,
puisque c’est au sortir de son bain au lait d’ânesse que Poppée a reçu un coup
de pied mortel de Néron, lequel se détourna de son épouse agonisante pour aller
fumer sur le balcon et mettre accidentellement le feu à Rome.
Fétichisme
Parmi les cadeaux qu’enfant j’ai faits à ma mère, les moins
hideux furent probablement les briquets. Elle s’en servait deux fois et
revenait à son Zippo, un vrai, qui dégageait une forte odeur d’essence et qu’elle
faisait claquer d’un coup sec pas très féminin. Un bruit qu’on repère à des
kilomètres à la ronde, si bien que je comprends mal qu’il ait été le briquet le
plus prisé des GI. On perd des guerres à moins.
En fait, sans en avoir encore l’usage, je collectionnais les
briquets : briquet dont le long cordon d’amadou était crocheté à une boule,
briquet de poilus de Quatorze façonné dans une douille, élégant petit grattoir
à silex et argent, le tout nécessitant mille accessoires et pièces de rechange,
essence, molettes, pierres de tous calibres, micro-tournevis, mini-ressorts, vis
lilliputiennes.
Fumeuse, je me lassai vite de mes précieux briquets, la
collectionnite étant inséparable du syndrome de perte. Sauf quelques fantaisies
ou cadeaux, j’optai vite pour les modèles les plus ordinaires puis pour les
jetables qu’on oublie sans regrets, qu’on pique sans remords.
Tout se compliqua dans les années 90 avec l’apparition des beans ou haricots, simples étuis à Bic, mais lourds, compacts, ronds, confortables et
sensuels, qu’on retrouve au fond des sacs, des poches, qu’on a bien en main et
surtout qui s’usent avec noblesse. J’en choisis un laqué noir qui, à force de
manipulations, révéla ses dessous d’acier, puis de cuivre. Je me le mignotais, résistant
à toute tentative de triche (limage, ponçage au Scotch-Brite, à la laine de fer).
Il me fallait du fait main. Mon frère s’y mit, Docha aussi, puis Ocha. Nous
rivalisâmes, comparant nos résultats avec des mines de maquignons. Évidemment, je
le perdis avant de savoir si, sous le cuivre, il n’y avait pas une autre
matière, puis une autre et une autre encore. Je chamboulai tout, sondai les
sacs, les poches, les recoins, les coussins de la voiture (clefs, monnaie, canif,
stylo, sécateur, cachous). En vain Olivier, Docha et Ocha surent me consoler :
eux aussi avaient perdu leur haricot. Dieu soit loué (j’ai une belle âme) !
Nous en achetâmes derechef, reprîmes notre concours et les égarâmes derechef. Les
derniers modèles sont d’ailleurs minables, le Bic se déboîte et il faut le
rendre solidaire de l’étui avec un chewing-gum.
Jean-François, mon voisin d’étage, cherche à me détourner de
ce fétichisme invalidant en m’offrant des briquets plus kitch les uns que les
autres : briquet-stylo, briquet-couteau à cran d’arrêt, etc. Je riposte en
le bombardant à mon tour de spécimens d’un goût révoltant, le dernier étant une
jambe-briquet dorée. Il n’empêche que Jean-François, dit « la vague »,
a élevé l’un des plus beaux monuments au tabagisme : une colonne de
plastique transparent de 25 cm de section sur 200 cm où il jette ses paquets
vides de Craven sans filtre.
J’ai retrouvé mon haricot dans un fauteuil. Il me semble que
sous le cuivre apparaît…
Accessoires
Le gros fumeur, comme tout
Weitere Kostenlose Bücher