Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré
remarquable. Dans tous ses
Mémoires, il a toujours eu à cœur de citer le nom des savants dont les travaux
lui avaient été de quelque secours ou lui avaient servi de point de départ. On
est frappé aussi de l’entière bonne foi avec laquelle il fait l’examen de ses
propres travaux. Il s’érige en juge et en critique ; il avoue ses erreurs ;
il note les imperfections de ses ouvrages et, selon le cas, il s’en excuse ou s’en
justifie.
N’ayant en vue que l’intérêt de la science, Poincaré n’hésitait
pas à suggérer des idées aux chercheurs. Il aimait la jeunesse studieuse, car
il voyait en elle une continuatrice et non une rivale. Il regardait les jeunes
travailleurs comme « de futurs compagnons d’armes à qui il passerait la
consigne lorsqu’il se retirerait de la lutte, comme des collaborateurs qui
poursuivront la grande œuvre entreprise, destinée d’avance à n’être jamais
achevée ». Il leur donnait ses idées pour leur Thèse de doctorat. Souvent,
sans bruit et sans ostentation, il s’occupait activement de leur avenir.
Des qualités humaines remarquables
Henri Poincaré était simple et bon. Ses collègues et ses
confrères sont unanimes à le proclamer. Il aurait voulu pouvoir obliger tout le
monde ; aussi était-il très impartial dans ses votes concernant la vie
universitaire et académique. Son choix ne fut jamais guidé que par la justice
et l’intérêt de la science. Le mot de M. G. Bigourdan est profondément
vrai :
Parmi les candidats qui ne pouvaient obtenir son suffrage,
pas un ne mettait en doute l’élévation des motifs qui lui faisaient refuser la
préférence.
Toutes les qualités de l’âme et de l’esprit se retrouvent
dans le style. Mathématicien, physicien et philosophe, Poincaré fut aussi un
grand écrivain. Son seul but était d’exprimer sa pensée dans toute sa sincérité
et de communiquer à ses lecteurs ses émotions et ses enthousiasmes les plus
nobles. Il écrivait au fil de la plume, car les idées étaient chez lui d’une
netteté si parfaite, les sentiments d’une si grande vivacité, qu’il trouvait
presque toujours immédiatement leur parfaite expression. Il y a peu de ratures
dans ses manuscrits. Les modifications qu’il apporte au texte de ses Discours
ou de ses Conférences sont aussi très peu nombreuses. Il ne corrige que pour
donner plus de vigueur, plus de relief à l’expression, ou pour mieux rendre les
nuances délicates de la pensée. Il n’a d’autre souci que celui de l’exactitude.
Une vie familiale équilibrée
Il avait eu le bonheur d’unir sa vie à celle d’une compagne
intelligente, discrète et dévouée qui embellissait son existence et lui
facilitait la tâche ; car, selon l’expression de M. Paul Appell, elle
« entourait son mari de l’atmosphère familiale, profondément unie et calme,
qui seule permet les grands travaux de la pensée ». Henri Poincaré fut le
plus tendre et le plus heureux des pères. Ce grand savant s’occupait de l’instruction
et de l’éducation de ses enfants. Les cinq articles qu’il a écrits sur Ce
que disent les choses, sa conférence sur Les définitions en
mathématiques montrent comment il savait oublier sa science approfondie
pour se mettre à la portée de jeunes intelligences.
Poincaré mourut « jeune », à 58 ans. Opéré le 9
juillet 1912, il paraissait hors de danger, lorsque brusquement, le 17, dans
son lit, l’embolie le surprit et le terrassa en un quart d’heure.
Albert Einstein : 1879-1955
Lorsque Einstein publie son article sur la Relativité restreinte,
en 1905, il n’a que 26 ans. Nous nous limiterons donc principalement à la
première période de sa vie jusque vers 1910. Il existe de nombreuses
biographies écrites à la gloire d’Einstein ; c’est le cas, par exemple, de
celle de l’Américain d’origine hollandaise Abraham Pais [Pa1] qui, visiblement,
n’a pas lu les textes de Poincaré ou les a volontairement mal interprétés.
De l’école à l’Office des brevets
Contrairement à l’idée assez répandue, Einstein obtint de
très bons résultats au cours de ses études à l’école et au lycée. Il vécut dans
un milieu où il ne manqua pas de stimulants intellectuels, loin de là. Son
oncle lui posait des problèmes de mathématiques que le jeune Einstein aimait
résoudre ; un étudiant en médecine lui fit lire des ouvrages de
vulgarisation scientifique et de philosophie entre sa dixième et
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