Comment vivaient nos ancêtres
leurs récoltes et les bêtes engraissées durant l’été.
Aller à la foire est presque un rite dans la société d’autrefois. On va à la foire comme on va à l’église. C’est une institution et l’on doit y aller, même lorsque l’on ne vend rien, ne serait-ce que pour suivre les cours et les prix. Il est vrai, cependant, que la foire absorbe en général une journée complète pour l’homme qui s’y rend, une longue journée qui ne finit plus de le ramener à la maison.
Selon l’éloignement, on se lève tôt pour partir parfois avant le jour. Les plus riches y vont en carriole, les autres à pied. Les bêtes que l’on y conduit doivent toujours faire le trajet à pied, attachées derrière la voiture lorsqu’on en a. Le fermier charolais Emiland Matthieu, qui décide de conduire ses bœufs à la foire de Poissy, près de Paris en 1747, met dix jours pour s’y rendre. Il enregistre plusieurs pertes dans son cheptel au cours du trajet, mais Matthieu est un précurseur de l’élevage à haut niveau. Pour le paysan moyen, le voyage se limite à trois ou quatre heures. Et encore, a-t-il soin de ne pas trop forcer le pas pour ménager les bêtes.
Arrivé sur le champ de foire, qui est souvent un carrefour ou la place du village, notre paysan s’installe et attend l’acheteur. Déjà, il aperçoit les marchands qui, en professionnels, s’entendent souvent entre eux pour ne pas laisser « casser les prix ». Est également souvent là le régisseur ou le propriétaire qui, l’affaire conclue, demandera sa part.
Avec une corde ou de la paille tressée, notre homme redresse les queues de ses animaux. Les discussions et les marchandages vont durer des heures entières. L’acheteur examine la bête en détail. Il tâte la croupe, considère attentivement les pis, les dents et les sabots. Il doit éviter de se faire refiler une vache stérile ou un cheval rétif. L’affaire conclue, on tope dans les mains : « Coquin qui s’en dédit ! » Le vendeur coupe la cordelette qui fait retomber la queue de l’animal, signifiant qu’il n’est plus à vendre. Enfin, on va trinquer au café pour sceller l’accord.
Voilà pour la première partie de la foire. Mais une seconde partie la suit presque toujours, à la sortie du café, argent en poche. Le paysan passe alors souvent de l’autre côté de la barrière car il trouve mille occasions de dépenser le peu d’argent qu’il a pu gagner.
Au milieu des meuglements des vaches et des cris aigus des gorets, que l’on enfourne dans des sacs de toile en les tenant par la queue et les oreilles, s’élèvent souvent – du moins dans les foires quelque peu importantes – d’autres cris, d’autres appels, clamés comme autant de slogans publicitaires par une foule de forains, de gagne-petit, de charlatans ou de commerçants qui sont venus jusqu’ici en quête de clients.
Notre bonhomme sait en effet qu’il peut trouver là le coiffeur ou le barbier. Une fois l’an, il se refait une beauté. On sait que l’on y trouve aussi l’arracheur de dents, toujours accompagné d’un joueur de tambour qui a soin d’exécuter quelques bons roulements pour couvrir les cris du pauvre supplicié, le marchand de lunettes, le colporteur, le marchand d’images pieuses, et encore l’écrivain public qui, longtemps, lira et écrira les très rares lettres que les paysans illettrés peuvent recevoir ou envoyer. Des marchands d’outils et des taillandiers proposent leurs produits, tout comme des tailleurs d’habits sont prêts à prendre les commandes. Et puis sont surtout là tous les forains, depuis les marchands de sucreries, de ces petits pains d’épice en forme de cochons sur lesquels les gars font inscrire en sucre le nom de leur belle pour le lui offrir le dimanche suivant, jusqu’aux bateleurs en tout genre.
Ce sont les montreurs d’ours, faisant danser leurs animaux au son de quelque instrument de musique, les dresseurs de puces costumées en princesses, tirant un carrosse ou exécutant des triples sauts, ou encore les montreurs de nains, de géants, ou d’hercules capables de supporter une table surmontée de quinze hommes ou de porter des enclumes.
Ce sont enfin les lutteurs qui trouvent toujours un naïf ou un fanfaron pour relever leur défi en sortant du café où il est resté trop longtemps.
Beaucoup de paysans, en effet, passent des heures à parler et à boire, assis à la table d’un cabaret. Ce jour-là, des prostituées
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