Comment vivaient nos ancêtres
ces veillées – nommées parfois « sérrées », « séries », « escreignes », selon les régions – ont lieu à l’étable, où la chaleur animale économise les bûches de la cheminée. Elles ne coûtent alors que le prix de la chandelle, souvent faite par le paysan lui-même avec de la résine de pin dans laquelle il trempe à plusieurs reprises une mèche de coton jusqu’à obtention d’un diamètre suffisant.
À la nuit, tout le monde arrive, et aussitôt les doigts comme la langue vont bon train. Hommes, femmes, vieillards, enfants, chacun travaille à quelque ouvrage. Les femmes filent avec leur quenouille, teillent le chanvre, car quelle maison, autrefois, n’a pas sa chenevière sur quelque parcelle humide ? Les hommes tressent ou réparent des paniers. Souvent, aussi, on casse les noix avec des maillets pour les « monder » et faire de l’huile, on écosse des haricots, etc.
Tout en travaillant, on peut écouter une lecture, lorsque quelqu’un sait la faire. On lit de petits livres drôles comme L’Art de péter ou La Consolation des cocus, mais surtout l’almanach. Sinon, on se raconte des histoires. Il se trouve toujours, parmi l’assemblée, un vieux soldat prêt à conter, selon les temps, la Berezina, la campagne d’Allemagne, la conquête de l’Algérie (avec description des femmes voilées) ou celle du Tonkin (avec évocation des baguettes à manger du riz), voire tout simplement son service militaire, seul grand voyage de la vie d’un homme de l’ancienne France. On parle aussi des défunts et des légendes, dont les récits sont tour à tour merveilleux lorsqu’il s’agit de fées et autres dames blanches, ou terrifiants lorsqu’on évoque les bêtes faramines, dont les loups, toujours très présents, ou encore les « chauffeurs » ou brigands. On écoute en croquant des pommes, des noix ou des châtaignes grillées et, si l’histoire effraie trop les enfants, une grand-mère recourt à son répertoire de comptines ou de devinettes. Les refrains des chansons sont repris en chœur. On fait des jeux, comme colin-maillard. Il arrive même qu’un vielleux ou un flûteux soit là pour proposer un branle ou une bourrée.
Partie de colin-maillard et danses ne sont pas toujours dénuées d’innocence. Dans les veillées, les jeunes ne se privent souvent pas de « draguer », au vu et au su de tous. « En telles assemblées, nous dit encore Noël du Fail, beaucoup d’honnestes familiaritez sont permises. » Et il les décrit en des termes si agréablement pittoresques qu’il serait dommage de se priver de son récit : « Les filles, leurs quenoilles sur la hanche, filaient : les unes assises en lieu plus eslevé, sur une huge [une huche] ou met [une maie, un pétrin], à fin de faire plus gorgiasement [ostensiblement] pirouetter leurs fuseaux, non sans être espier s’ils tomberaient : car en ce cas y a confiscation rachetable d’un baiser. » Certaines se montrent ostensiblement maladroites et les gars de réclamer leur salaire pour les avoir ramassés. « Les autres, moins ambitieuses, ajoute notre commentateur, estant en un coin près du feu, regardaient par sur les espaules. […] Si, par fortune le gros Jean, Robin ou autre monstraient le haut de leurs chausses à descouvert, ce n’étaient pas les dernières à rire à gorge déployée avec la main entrouverte devant les yeux, pour assurer toute chose et se garantir du hasle. » Tout cela, ajoute-t-il encore, était contrôlé « par un tas de vieilles, qui perçaient de leurs yeux creux jusques dedant le tect aux vaches ou par le maistre de maison, estant couché sur le costé en son lict bien clos, et en telle vue qu’on ne luy put rien cacher ». Dans la salle obscure qu’est l’étable ou la pièce commune, nos ancêtres draguent donc déjà.
DES CHRYSANTHÈMES AUX « GRANDES Ô »,
EN RENCONTRANT POILUS ET CATHERINETTES
Depuis un siècle, le chrysanthème inonde les cimetières de ses couleurs mauves, mordorées, jaunes ou blanches. La fleur vient d’Extrême-Orient où elle est curieusement symbole de vie. Chez nous, depuis le Second Empire, elle s’est pourtant vue associée à la mort. Elle doit sa fortune aux horticulteurs qui peuvent aisément en prévoir l’éclosion et à l’évincement des anciennes bougies que nos ancêtres allumaient pour la Toussaint sur les tombes de leurs défunts ou à l’intérieur de l’église lorsque le temps était mauvais.
Depuis fort
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