Comment vivaient nos ancêtres
travail dans la vigne, s’abstiennent généralement ici. De plus il est formellement interdit à une femme impure (ayant ses règles) d’entrer dans le lieu où le vin est pressé car elle le ferait sans aucun doute « tourner ». Enfin, le dernier jour, on donne une grande fête, souvent en l’honneur du bon saint Vincent, au nom si prédestiné. Sa statue est confiée chaque année, à tour de rôle, à l’un des vignerons et l’on va officiellement la récupérer ce jour-là. Celui qui « rend » saint Vincent doit offrir le banquet. C’est un honneur particulièrement onéreux, qui oblige bien souvent le préposé à vendre une vache pour en assumer les frais. Le pays tout entier vient chez lui rechercher la statue et gare à celui, qui, en entrant, oublie de s’incliner y devant le saint : les autres, aussitôt, lui infligent une solide fessée en public.
Dans les quelques régions qui n’ont pas de vignes, en particulier les régions de haute montagne, les bouviers descendent de l’alpage. Le folklore, là aussi, intervient souvent, avec le couronnement de la reine des vaches, celle qui a donné le moins de tracas au cours de l’estive ou pour qui les amulettes ont été les plus efficaces. L’ours, le loup, les pluies ont parfois mené la vie dure aux gardiens durant les mois d’été. Heureusement, les sonnailles bénites sont là pour réveiller le berger que les saints, de saint Maimbœuf à saint Roch, protègent en permanence.
L’automne, enfin, est le temps des battages. Avant que n’apparaisse la batteuse à vapeur se promenant de ferme en ferme et faisant naître elle aussi son folklore, notamment avec l’abondant repas en commun, le battage se fait, comme on sait, au fléau. Dans la grange où l’air est irrespirable, ou à l’extérieur, sur une aire appropriée et savamment fabriquée avec de l’argile battue, enrichie de boue et de bouse de vache, le battage est un art qui exige une grande maîtrise. Des équipes de sept à huit batteurs, et de quatre à cinq hommes pour les alimenter en gerbes, travaillent le bas du visage enveloppé dans de grands foulards à carreaux noués autour du cou. Chacun doit savoir tenir le rythme, respecter la cadence, frapper régulièrement et précisément les épis s’il ne veut risquer de recevoir le fléau du voisin en pleine figure.
Souvent, dans les petites fermes, un ou deux hommes assurent la tâche au fil des jours d’hiver. Puis, c’est le temps des labours, avec la charrue à roue dans le nord du pays et l’araire sans roue dans le sud ; le pas pesant et lent des bœufs est conduit par la lancinante mélopée du laboureur qui « tiaule » ou « briole » sa chanson préférée. Une fois qu’on a procédé au semis d’automne, « Guinando » est là. La nature s’endort. Alors, un autre temps commence, avec d’autres rythmes et d’autres rites.
LE TEMPS DES VEILLÉES :
DES SALLES OBSCURES OÙ L’ON DRAGUAIT DÉJÀ
« C’est une vieille coutume en ce pays et [je] croy que partout ailleurs, de se retrouver et amasser chés quelqu’un du village au soir, pour tromper les longueurs des nuits, et principalement à l’hyver. » Ce que Noël du Fail décrit en 1603 pour la Bretagne est en effet d’usage général. Que l’on se garde bien cependant, de tomber dans l’image d’Épinal. Si le « Guinando » marque, à la fin d’octobre, la date de reprise officielle des veillées, il annonce également l’hiver. Jeunes gens et jeunes filles partent en « tournée » pour une nouvelle quête d’où ils rapportent farine, noix, pommes, huile, chandelle, bois, etc. On décide aussi qui abritera la première veillée, entre la Toussaint et la Saint-Martin (11 novembre). Ensuite, de jour en jour, on fait le tour des maisons du village ou du hameau pour s’y retrouver et s’y chauffer jusqu’à neuf ou dix heures du soir.
S’y chauffer est un bien grand mot. La cheminée monumentale tire généralement mal et enfume la pièce commune et unique où se tiennent souvent jusqu’à trente personnes assises en demi-cercle devant son foyer. Tout près du feu, les vieillards, dont les membres sont déjà à demi refroidis, n’ont pas peur de s’y brûler ; les gosses, au centre, ont la figure roussie par les flammes. Les adultes ont souvent froid dans le dos, du fait que l’atmosphère, pour être respirable, exige que l’on maintienne la porte entrouverte. Voilà sans doute pourquoi dans beaucoup de fermes,
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