Comment vivaient nos ancêtres
venues de la ville voisine s’y retrouvent. L’atmosphère est bruyante, chaude, les hommes parlent fort, se bagarrent plus d’une fois, s’entraînant mutuellement.
Chez elle, la femme voit la nuit tomber. Elle se dit que son homme est encore en train de boire les quelques sous qu’il pourrait rapporter. Souvent, il ne rentre qu’à minuit. Mais, après tout, c’est comme ça : il a fait la foire. Pour avoir la paix, il lui ramène d’ailleurs quelque coiffe de coton qu’elle amidonnera pour aller aux fêtes du dimanche, celles où vont les femmes. Et puis, il rapporte toujours des nouvelles. Une telle a trompé son mari. Telle ferme a changé de métayer. Telle autre sera libre à la Saint-Martin. Nos ancêtres, M. Young, ne perdent pas leur temps à la foire. Car la foire, voyez-vous, c’est un de leurs « médias ». C’est à elle seule un programme de télévision, avec variétés, jeux à gains, informations. De quoi passer une journée pas comme les autres, de quoi échapper à la monotonie quotidienne.
FESSÉE DE SAINT VINCENT ET BATTAGE AU FLÉAU
Sous le Second Empire, le vignoble français est on ne peut plus florissant. C’est malheureusement compter sans les Américains qui nous préparent un cadeau empoisonné.
Quelques plants de vigne venant du nouveau continent semblent bien, en effet, être responsables de l’apparition en France de ce petit insecte parasite qu’est le phylloxéra. En quelques années, il saura menacer le vignoble national et le réduire comme peau de chagrin, à une vitesse qui ressemble fort à ce que l’on connaîtra plus tard pour un autre parasite, le doryphore, arrivé lui aussi d’outre-Atlantique.
En 1863, lorsque pour la première fois le phylloxéra fait des ravages sur quelques ceps à Pujaur, dans le Gard, le vignoble français est largement développé. On peut même dire qu’autrefois, lorsque les moyens de communication ne permettaient pas la circulation aisée des marchandises, chaque région avait ses vignes, produisant bon an mal an quelques litres de piquette dont se contentaient les populations locales. Alors Paris boit essentiellement des vins d’Île-de-France ou de Champagne, mais d’une Champagne ou dom Pérignon, moine bénédictin et cellérier de l’abbaye de Hautvillers près d’Epernay, n’a pas encore inventé la façon de faire mousser le vin dite champagnisation. À la même époque, le vin de Bourgogne est introduit à la cour de Versailles lorsque le médecin de Louis XIV, Fagon, lui prescrit de se soigner en buvant du vin du pays de Nuits et de Romanée-Saint-Vivant.
Avant la découverte et la diffusion des grands vins et la gloire des grands crus, il n’est donc pas, en France, de coin de terre qui ne parvienne à produire sa vigne. Les rares exceptions sont signalées par des noms de lieu, comme cette commune de Bourgogne nommée si justement Sanvigne.
Certes, le vin ne figure pas tous les jours au repas de nos ancêtres et, lorsqu’il y figure, est-il souvent réservé aux hommes adultes. Mais il est bu dans les grandes occasions, aux fêtes, aux mariages, aux foires, aux repas traditionnels, comme il est toujours servi, en été, à chaque repas des foins ou des moissons. Le dimanche, on peut le boire au cabaret ou au café et l’on connaît partout – de nombreux surnoms devenus noms de famille en témoignent – des hommes qui savent en user et en abuser.
La vigne constitue donc, dans l’économie fermée d’antan, une richesse que chacun se préoccupe de protéger. Dans bien des régions, les vignobles sont gardés nuit et jour par des hommes armés de hallebardes.
Pour éviter le grappillage, chacun se doit de vendanger en temps voulu. Le « ban des vendanges » proclame leur commencement. Ban seigneurial au début, lorsque le pressoir ou le treuil est encore une « banalité » – un bien d’équipement collectif soumis à une taxe d’usage, pour-rions-nous dire aujourd’hui plus savamment. Ban municipal ensuite, proclamé par la voix et le tambour du garde champêtre quand ce n’est pas par la sonnerie des cloches. Alors commencent plusieurs journées harassantes, assez proches dans leur esprit de celles des foins ou des moisons, qui se terminent elles aussi par une procession triomphante et des feux de joie allumés avec de vieux balais, sans oublier le repas de vendanges.
Vient ensuite le travail en grange : celui du foulage puis du pressage. Les femmes, si elles participent au
Weitere Kostenlose Bücher