Comment vivaient nos ancêtres
luisance de la soie de l’animal. Jusqu’au jour où il l’estime bon à passer au saloir.
Il faut alors prendre date et là aussi, on ne la choisit pas au hasard. Tout d’abord, on ne tue qu’en hiver, par temps froid pour favoriser la conservation des salaisons.
La date varie selon les régions entre les premières semaines de décembre et le début de février. Plutôt décembre dans le Centre, janvier en Gévaudan et en Bretagne, et février en Languedoc, où elle se conjugue souvent avec les fêtes de carnaval. On ne tue pas non plus n’importe quel jour : pas le vendredi, jour maigre, ni le dimanche, jour du repos. On se garde de tuer perdant la pleine lune en Bretagne, pendant la vieille lune (la lune descendante) en Bigorre, sinon les boyaux seraient craquants.
Une fois le jour choisi, il faut s’assurer de l’aide des amis et des voisins, que l’on va retenir en les visitant chez eux. On s’enquiert d’un « exécuteur » si l’on ne dispose pas, parmi les proches, d’un homme compétent. « Il faut tuer un cochon comme on cueille certains fruits : avec mille précautions et une oraison préalable, remarque Pierre-Jackez Hélias, car la valeur du lard dépend autant de la mort de l’animal que de sa vie. » Chaque contrée a donc son spécialiste. C’est le charcutier du bourg, en général assez cher, ou un « tueu », un « saigneur », un « gognier », un « escanaire » ou un « sanaire », selon les régions. En Catalogne, c’est généralement un homme au physique assez repoussant mais à qui, le jour de l’abattage, sont permises bien des libertés envers les femmes de la maison.
La veille, la maîtresse de maison prépare ses récipients, ses linges et ses nappes. Au matin, la fête peut commencer. Car c’est véritablement une fête, avec ses règles et ses rites, au point qu’elle ressemble souvent à un sacrifice antique. Tout le village en profite tant elle s’accompagne de bruits caractéristiques. « Tiens, les Untel font pèle-porc », dit-on dans le Sud.
Après un bon breakfast et un bon verre pour soutenir les participants, c’est le branle-bas de combat qui commence avec le baroud d’honneur du cochon, avec parfois certains animaux plus hardis qui arrivent à s’échapper et qu’il faut courser jusque sur la place du village sous les rires moqueurs des voisins. Finalement, le tueur l’assomme sans ménagements d’un coup de masse entre les yeux et le saigne immédiatement. La maîtresse de maison recueille précieusement ce sang dans une grande poêle à long manche, afin de s’en servir pour la préparation du boudin. Parfois, elle en répand un peu à terre comme un vieil héritage d’antiques libations accentuant bien là l’image du sacrifice rituel. Ensuite, la bête, dans les derniers soubresauts de l’agonie, est grillée sur un feu de paille flamboyant en poussant des cris aussi aigus qu’horribles. C’est le curieux « son et lumière » de nos ancêtres. Jadis les soies étaient récupérées pour être vendues ou échangées auprès du premier colporteur de passage, mais l’usage se perd vite. On le racle avec divers instruments de fortune, enfin on l’attache à une échelle inclinée pour l’ouvrir et le dépecer. Un va-et-vient incessant commence alors avec la maisons, où chaque morceau est emporté pour être traité selon sa nature et recevoir une destination propre. À midi, le repas du cochon comporte une bonne côtelette pour chacun ; ensuite, on se remet au travail.
Certaines familles installent jambons et lard dans la cheminée, mais la plupart du temps la viande va au saloir. Selon un art très précis, couches de viande et saumure sont intercalées et recouvertes d’un épais couvercle couronné d’une grosse pierre bien lourde. Une partie du cochon est tout de même consommée les jours suivants. En Gascogne, la fête du cochon dure plus de deux jours. Un bon morceau est donné en paiement au tueur. Le boudin et la longe, les rôtis sont un peu partout traditionnellement offerts aux parents et voisins. La maîtresse de maison passe chez les uns et les autres en déposant du boudin et un morceau de cochon dont la grosseur est proportionnée à l’amitié. Elle a soin d’envelopper le morceau dans un linge car il serait malséant, de la part d’un voisin ainsi gratifié, de chercher à comparer sa part et celle des autres. La tradition veut, bien sûr, que l’on rende morceau pour morceau.
Chacun
Weitere Kostenlose Bücher