Comment vivaient nos ancêtres
d’avoir du mal à bien distinguer le décor qui vous environne. Les murs, même s’ils ont été voilà bien longtemps blanchis à la chaux, sont couverts de suie et de saleté. Les ouvertures sont rares – question de moyens, mais aussi d’isolation – et les carreaux de verre, bien trop chers, sont inexistants, pour laisser généralement place à de simples papiers ou chiffons huilés. Les meubles, rares, en bois foncé, sont peu visibles. Vos ancêtres eux-mêmes, du moins à certaines époques et dans la plupart des régions, portent peu de vêtements de couleurs et, de toutes les façons, les éventuelles couleurs restent généralement foncées (violet, rouge cramoisi, bleu foncé), le gris et le noir dominant largement partout, du fait du coût très élevé des teintures.
Dans un premier temps, vous découvrirez donc, à la lueur des flammes, les uns et les autres affairés autour du feu : une meschinette (petite fille), jouant avec un mâtin (un gros chien) bourré de puces, la tête sur les genoux d’une grand-mère en devantier (tablier) noir qui l’épouille consciencieusement ; une femme en cotelle (en robe), plumant quiètement (tranquillement) une géline (une poule) et une autre offrant son tétin à un nourrin (son sein à un bébé). Vous verrez une drôlesse culeter (une fille à l’air effronté jouer des hanches) et se lever pour servir bonne et confortante rapaissance (un bon repas bien réconfortant) à un groupe attablé.
Ce groupe, composé exclusivement d’hommes, plus ou moins en penailles (en haillons), vous ne pouviez en réalité pas l’ignorer, tant il faisait grand tabus et noise (grand tapage et grand bruit – encore un mot français qui a traversé la Manche !). Et c’est l’un d’eux, le maître de céans, qui vous invitera avec joliveté (joie, entrain) à les rejoindre afin d’entonner chopine (boire un verre) et de vous restaurer, en vous seyant à senestre d’un bec jaune en bliaut (en vous asseyant à la gauche d’un jeunot en chemise).
Saurez-vous honorer leur plat ? Saurez-vous apprécier la traditionnelle soupe faite d’épaisses tranches de pain noir et rassis, trempées d’une louche de bouillon graissé par un morceau de lard rance et volontiers enrichie d’un filet d’huile de noix, tranches dans lesquelles votre ceuillère tiendra toute roide ? Quoi, l’écuelle et la cueillère ne vous semblent pas propres ? Comment pourraient-elles l’être, vu que l’on ne dispose d’aucun produit vaisselle et que l’eau, que les femmes rapportent péniblement de la source ou de la font (la fontaine) y est savamment économisée… Saurez-vous manger l’œuf que vous tend votre voisin – ne regardez pas ses mains : il ne les lave jamais ! –, le manger sans coquetier ni mouillette, et donc en réalité le « gober », comme tout un chacun autour de vous s’emploie à le faire bruyamment ? Saurez-vous, sans fourchette, manger ce morceau de salé de porc, que l’on est allé chercher pour vous au saloir, et que l’on a mêlé à une compacte purée de fèves ou à une potée de choux ? Ne comptez pas trop sur le dessert, même si l’on a sorti quelques poires ou pommes – elles sont sans doute à demi-blettes –, et méfiez vous de ce liquide versé d’un tupin (un pot de terre) ou d’une jacqueline (une bouteille de vin), qui n’est en fait qu’une infâme piquette de production locale, plus proche du vinaigre que du plus « bas de gamme » de nos vins de table.
Le parlement (la conversation) aura beau être joli (joyeux) et l’assemblée fort riace (rieuse), même si vous n’y avez pas besoin de latinier (d’interprète), vous vous trouvez si vite déconfit (décontenancé), déconforté (découragé) et eshidé (effrayé) que vous pensez plutôt déjà à guerpir de céans en droite heure (à quitter immédiatement les lieux). Comment imaginer en effet de passer ici nuitée (la nuit), toutes portes closes, hormis celle de l’étable contigüe, répandant son odeur chaude et puissante ? Comment imaginer gésir dans un des lits disposés tout autour de la pièce, sous une courtepointe ou couvrepointe (couvre-pieds) de coutil, que vous partagerez avec la petite fille aux poux ou avec le grand-père à forte haleine, après être allé – allez savoir où… – là où tous doivent passer avant de s’abandonner à Morphée. Tant pis, haimi (hélas) pour la veillée, temps béni si souvent décrit par George
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