Comment vivaient nos ancêtres
de la matrone reste longtemps inattaquable. À son arrivée, c’est elle qui décide de la pièce et du lieu d’accouchement. Elle exhorte la mère à ne s’asseoir ni se coucher jusqu’au dernier moment. Elle lui fait réciter ses prières. Pour accélérer le travail, il arrive même qu’elle la fasse promener sur une charrette par les chemins cahoteux. Elle vérifie aussi que l’on a bien préparé des linges, des bassins remplis d’eau, des toiles et de vieux chiffons qui serviront à essuyer les cuisses de la femme puis à nettoyer le sol ou le plancher. Le lit ou la paillasse doit être placé devant l’âtre, qui garantit tout à la fois chaleur et lumière. Devant le lit, elle fait placer une chaise renversée qui sert de dossier à son appareil gynécologique rudimentaire.
Ces problèmes réglés, notre fée du logis se précipite dans la cour de la ferme et y course une poule à laquelle elle tord le cou pour préparer un bon bol de bouillon à la parturiente et, pour se soutenir, elle se fait une bonne tasse de café ou à défaut (notamment avant son apparition dans les campagnes) s’enfile un bon verre de gnaule, pour ne pas dépérir, ce qui ne serait guère indiqué dans ces moments-là. Il faut se préparer, et de fait toute notre volière de femmes réunies caquette allègrement jusqu’à ce que l’héroïne donne des signes suffisamment éloquents pour les rappeler à ses côtés.
LORSQUE L’ENFANT PARAÎT…
TOUTE UNE AVENTURE
Pour avoir à se préoccuper du sort de l’enfant qui naît dans la société traditionnelle, encore faut-il qu’il naisse vivant, car dans bien des cas, l’enfant paraît sans vie ou avec si peu qu’elle le quitte bien vite.
Beaucoup d’enfants naissent déjà morts, et, dans ces cas, les crochets de la matrone n’y sont pas toujours étrangers. Vers 1610, un médecin normand n’évaluait-il pas à près de cinq cents le nombre de leurs victimes annuelles à Rouen ?
On connaît évidemment mal les sentiments que peuvent ressentir alors les parents, tant accoutumés, jusqu’au début du siècle dernier, à ces morts. Ce qui semble le plus émouvoir c’est que les enfants meurent sans avoir pu recevoir le baptême. L’Église enseigne qu’ils se voient alors condamnés à errer dans les limbes et leur refuse de ce fait une sépulture chrétienne. Ils sont donc enterrés en terre anonyme, non consacrée, à l’extérieur du cimetière paroissial. Non seulement c’est l’opprobre pour les pauvres innocents, mais cette opprobre risque de retomber sur les malheureux parents.
On comprend dès lors pourquoi la seule compétence professionnelle exigée d’une matrone soit de savoir « ondoyer » un nouveau-né. Dès qu’un bébé paraît menacé à la naissance, la matrone, ou n’importe quelle personne de l’assistance connaissant le geste et la formule (l’eau et les paroles baptismales), se hâte d’ondoyer devant témoin l’enfant en danger de mort, ce que le curé du village aura soin de transcrire dans ses registres.
Par contre, que faire lorsque l’enfant ne présente pas le moindre souffle de vie ? L’Église, qui préfère finalement rassurer les fidèles, et qui ne rechigne pas à favoriser les miracles, propose alors souvent la formule du « sanctuaire à répit ». Ce nom bien savant a sans doute convenu à bon nombre de nos minuscules chapelles ou oratoires de campagne, où les parents du voisinage se hâtent d’apporter leur enfant mort, en quête d’un miracle, comme on le voit dans le nord et l’est de la France. C’est ce que fait Léonard Montereau, laboureur à Oudry (Saône-et-Loire), le 14 mars 1743. Sa femme a donné naissance à une petite fille née « de couleur noire et sans avoir donné aucun signe de vie. Lequel enfant on porta sur l’autel de Notre-Dame-de-Pitié en présence de… [suivent les noms de plusieurs témoins, dont la sage-femme] lesquels ayant prié la Sainte Vierge qu’il plût à Dieu […] accorder la grâce à ce pauvre enfant de recevoir le saint baptême, ledit enfant, apporté depuis le village des Brosses, distant d’une grande demi-lieue, roide et froid comme marbre et noir comme un chapeau, après les prières, a pris un teint vermeil et rouge, s’est sali et est devenu chaud et pour un plus grand signe et preuve du Miracle, [on lui a] vu remuer la lèvre inférieure et senti palpiter son petit cœur ». L’enfant est donc baptisé. Miracle ou hallucination collective, peu
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