Comment vivaient nos ancêtres
importe, il échappe aux limbes.
Plus étranges sont les cas où les parents, embarrassés au contraire d’un enfant bien vivant, mais d’aspect chétif ou difforme, n’hésitent pas, comme cela se pratique dans la Dombes jusqu’à la fin du siècle dernier, à le présenter à tel ou tel saint, notamment à un certain saint Lévrier aux origines douteuses, en le vouant « à la vie à la mort ». Ils lui infligent alors quelques bonnes épreuves dont il a peu de chances de réchapper. Culte horrible et inhumain s’il en est, mais qui semble n’avoir été pratiqué que lorsque l’enfant a déjà quelques mois, par des parents refusant d’accepter que leur rejeton pût être malingre ou handicapé. Sensibles à bien des histoires rocambolesques de sorciers ou de démons, beaucoup croient fermement dans ce cas être les victimes d’une odieuse substitution d’enfant.
De toute façon, un enfant naissant inanimé reçoit aussitôt les soins de la sage-femme qui, au XVIII e siècle, se hâte de le tremper dans le vin chaud, de le frictionner de vinaigre ou encore d’eau de fleur d’oranger, pour lui remettre le cœur en route. Mais laissons ces cas douloureux, pour voir comment un enfant bien vivant fait son entrée dans la vie.
Quand, dans des positions souvent difficiles et tout à fait inconfortables, la mère donne la vie, le rôle de la bonne mère est loin d’être terminé.
La première opération consiste à couper le cordon ombilical, ras pour les filles, et de façon variable pour les garçons, proportionnellement, dit-on, à la longueur de son sexe. Seconde opération : jeter le « délivre » et là encore les coutumes et les traditions font que l’on doit l’enfouir en terre, souvent au pied d’un arbre particulièrement honorable, fruitier de préférence, pour bien augurer de la prospérité de l’enfant. En revanche, s’il arrive qu’une partie de la membrane fœtale reste collée à la tête du bébé, c’est là un sérieux gage de bonheur et de chance, à l’origine de notre expression « être né coiffé ».
Ensuite, la matrone se préoccupe de l’enfant. L’enfant lui plaît-il ? Sa tête est-elle bien faite ? Sinon, l’ossature étant encore fragile, notre sage-femme, dans bien des régions (Languedoc, Poitou, Normandie) n’hésite pas à remodeler le visage du nouveau-né. Certaines ne connaissant pas leur force, l’enfant se retrouvera parfois avec une tête quelque peu biscornue et un physique peu séduisant à l’âge adulte. Sous le Second Empire, la tradition semble perdurer, au point que les médecins la rendent responsable de certains troubles mentaux. Ces pratiques ne se limitent d’ailleurs pas aux visages ; les filles, par exemple, subissent souvent un allongement des tétons pour être plus tard de bonnes nourrices. Enfin, on a cure de ne jamais oublier de couper le filet de la langue pour faciliter la tétée du nourrisson. À tout cela s’ajoute en général un massage du corps pour assurer une bonne circulation sanguine, un premier bain, que l’on ne renouvelle généralement pas de sitôt. Le bébé est alors lavé avec un peu de beurre frais fondu ou de l’eau chaude additionnée d’eau-de-vie. Puis l’on procède à l’emmaillotage : l’enfant est solidement ficelé, autre façon de lui raffermir encore le corps.
Enfin, la sage-femme s’en va, sauf dans le cas d’un enfant illégitime qu’elle conduit elle-même immédiatement au curé pour le faire baptiser et à la mairie pour le déclarer. Le curé d’ailleurs ne s’y trompe pas et fait tout de suite la différence entre l’enfant amené par la sage-femme, enfant de l’amour, et celui amené par le père, enfant de l’hymen.
Pour toute rémunération, la sage-femme reçoit quelques piécettes en ville et quelques œufs ou une volaille à la campagne, voire aussi souvent un tablier. C’est qu’alors l’on n’est pas très riche et les allocations à la naissance n’existent pas. Bien que… Dès que la nouvelle de l’accouchement se répand, les femmes de la famille et du voisinage qui n’ont pas assisté à l’accouchement viennent visiter la nouvelle mère. Celle-ci, qui a parfois déjà quitté son lit pour reprendre son travail à la ferme, les voit arriver les mains pleines. Souvent, elles apportent un petit cadeau de leur ferme. Au nombre des poules offertes (ce n’est pas un geste courant) dans les Pyrénées, on mesure le degré d’estime d’une
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