Comment vivaient nos ancêtres
et bien existé et n’a pas toujours joué un bon rôle. En effet, l’allaitement mercenaire a longtemps été l’objet d’un commerce assez malsain.
Dès le Moyen Âge, on l’a vu s’organiser à Paris. Des « recommandaresses », sorte de maquerelles de l’allaitement, tiennent dans la capitale des bureaux de placement pour servantes, assistées de « meneurs » jouant les recruteurs et les convoyeurs dans les provinces proches. Tout ce monde agit sans la moindre morale et en pleine anarchie, jusqu’à ce que le roi crée en 1769 un bureau général, unique et rigoureusement surveillé, véritable monopole seul habilité à fournir les nourrices. Sur quelque 21 000 enfants nés chaque année dans la capitale, à peine 1 000 sont nourris par leur mère et un peu plus par une nourrice logée au domicile des parents. Les autres sont envoyés chez une femme à la campagne, plus ou moins loin de Paris. Ce sont précisément ceux-là qui posent problème. D’une part les conditions de convoyage sont pitoyables. Chaque jour des charrettes chargées de nourrissons traversent Paris et roulent sur des routes défoncées avec des cahots qui ont tôt fait de précipiter par-dessus bord de malheureux bébés, écrasés parfois par les roues. D’autres sont « livrés » dans des hottes portées à dos d’homme, où ils peuvent également trouver la mort, gelés en hiver ou étouffés par leurs langes et par le nombre en été. Le roi profite de son intervention pour préciser que les meneurs doivent « se servir de voitures bien conditionnées, dont le fond sera en planches, suffisamment garni de paille neuve, les ridelles exactement closes par des planches bien assemblées, ou par des nattes de paille ou d’osier toujours entretenues en bon état, et couvrir leurs voitures avec une bonne toile sur des cerceaux, et assez grande pour envelopper les bouts et côtés ». Il stipule également que des nourrices doivent être assises dans la charrette pour veiller sur les bébés le temps du voyage.
Loin d’hésiter à confier leurs enfants à de telles organisations, les Parisiens font au contraire progresser très vite l’usage de la mise en nourrice. Rencontrée surtout dans les classes aisées, cette pratique se généralise dans la moyenne et petite bourgeoisie pour gagner artisans et petits commerçants. Les explications en sont multiples et tiennent beaucoup aux mentalités. Il serait abusif de conclure ici à une absence d’amour parental de nos ancêtres.
Selon les idées de l’époque, allaiter un enfant ne manque pas d’enlaidir la mère, et la bienséance lui interdit de se livrer à une telle pratique. Mais ces raisons ne sont pas les seules. Tout d’abord un tabou pèse depuis très longtemps – depuis les temps bibliques – sur les relations sexuelles pendant la période d’allaitement. Confier l’enfant à une nourrice dégage donc ipso facto les parents. Dans les milieux plus modestes, l’exiguïté des logements rend les cris du nouveau-né insupportables aux parents, et souvent au père. Par ailleurs la femme d’un artisan ou d’un boutiquier participant au travail de son époux doit se séparer de son enfant. À cette époque, il est de plus hors de question d’élever l’enfant au lait animal. Nul ne doute, en effet, que ce breuvage ne manquerait pas de lui communiquer la bestialité et les propriétés de l’animal en question, tout comme une nourrice étrangère présente le risque qu’il ne dégénère parce qu’avec son lait il prendrait son tempérament, son caractère et ses mœurs.
La solution pourrait être d’entretenir une nourrice chez soi car il suffit d’aller en choisir une au bureau central, dans une salle où cinquante à soixante femmes braillent à qui mieux mieux pour vanter leurs mérites nourriciers. Le choix pourrait être fait avec le conseil d’un médecin prêt à examiner la femme et à goûter son lait pour en apprécier l’âge et la qualité, donnant droit alors à un certificat avec la mention « goûté et approuvé ». Mais entretenir une nourrice chez soi est cher et encombrant.
On préfère donc nettement, après l’avoir ainsi choisie, après avoir vu le certificat de bonne moralité délivré par son curé, lui remettre l’enfant avec sa layette, à quoi l’on a soin d’ajouter un extrait baptistaire pour le cas où il viendrait à décéder pendant son séjour. L’enfant est ainsi élevé à la campagne, loin de la
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