Comment vivaient nos ancêtres
intéressés par les biens matériels que par les biens spirituels.
À peine passé le temps de carême et de Pâques, nos ancêtres s’en vont donc par les routes vers quelque chapelle au toit moussu, avoisinant souvent une source ou une fontaine déjà honorée au temps des Celtes et christianisée par quelque saint Agapit, Drogon, Gengoult ou autre tombé dans l’oubli. Les plus grands rassemblements ont Heu en Bretagne à l’occasion des pardons. D’importance régionale ou locale, on s’y rend en char à banc et en chariot pour les enfants et les vieillards, à pied pour tous les autres.
Autrefois, on pouvait y acheter des indulgences, accordant forfaitairement la rémission de tous péchés à venir pour des périodes allant de quarante jours à plusieurs années. Ce commerce supprimé, chacun continue à venir prier le saint du lieu et en profite pour y retrouver sa très large parenté. Parfois, la visite se prolonge plusieurs jours.
Dans les autres régions, s’ils sont généralement moins spectaculaires, les pèlerinages n’en sont pas moins respectés et pratiqués avec dévotion et enthousiasme. Chacun a toujours une prière à faire : le conscrit pour échapper au tirage au sort, la mère pour l’enfant qui a des difficultés à marcher ou à parler, le vieillard pour guérir ses rhumatismes, le laboureur pour avoir une bonne récolte, le bouvier pour son troupeau. On y va seul ou en famille, à la date de la fête du saint au calendrier, date souvent répétitive pour certains, populaires au point d’être souvent fêtés. Saint Vincent a ainsi une fête le jour de son martyre, une autre pour l’octave de ce martyre, une troisième pour l’« Invention » de ses reliques, une quatrième pour l’octave de cette « Invention », une cinquième enfin pour leur « translation »…
Dans la chapelle ou l’église, décorée pour la circonstance, on va prier devant la statue. Pour les guérisons, des recettes conseillent de gratter un peu du bois ou de la pierre du socle et d’en boire, dissous dans l’eau de la fontaine miraculeuse proche, en espérant qu’elle ne soit pas polluée – ce qui, évidemment, arrive plus d’une fois. Dans la fontaine on jette quelques piécettes – surtout sans les compter ! D’autres fois, on offre un cadeau au saint. Ainsi, l’on n’implore jamais sainte Anne, la mère de la Vierge, réputée favoriser la santé des bébés et la lactation des nourrices, sans déposer au pied de sa statue quelque brassière ou quelque bonnet.
Bien souvent le pèlerinage dure ainsi plusieurs jours, attirant sur place des camelots et diverses attractions au caractère pas toujours religieux. La nuit, chacun dort dans la chapelle, priant tant qu’il peut résister au sommeil. C’est alors que le miracle se produit : devant cette foule massée, la condensation de l’air est telle que Notre-Dame ou sainte Apolline « se mettent à pleurer » et de grosses gouttes perlent sur leur robe !
Dans notre pays, les pèlerinages se déroulent soit au printemps, avant les gros travaux, soit en automne, après. Les premiers sont suivis par les jeunes filles en quête d’épouseux. Dans bien des endroits, elles doivent faire la route sans parler, voire à reculons, quand ce n’est pas sept années consécutives ! Sont-elles assez patientes ? Pas toujours, sans doute. En ce cas, il existe d’autres moyens. Si le saint fait trop la sourde oreille, celui ou celle qui l’invoque le met en face de ses responsabilités. Ernest Renan raconte ainsi que son père étant enfant et malade, un forgeron décida de le conduire devant la statue d’un saint local. Le bonhomme avait emporté avec lui son fer encore rougi. Il le présenta devant le visage du saint : « Si tu ne tires pas la fièvre à cet enfant, dit-il, je vais te ferrer comme on ferre un cheval. » Et le saint, peu rassuré, d’obéir sur-le-champ. Il n’est d’ailleurs pas rare, selon le même principe, de voir à certaines saisons les statues trempées dans l’eau des fontaines à des fins météorologiques.
Pour ceux qui craignent de se « perdre » dans ce paradis, chaque village a souvent sa spécialiste en la matière qui se propose d’aller faire pour vous une prière à un saint approprié de sa connaissance, dans un lieu plus lointain. Enfin, si rien marche, si la guérison ne vient pas ou si la vache continue à maigrir, on a toujours la ressource d’aller chez le concurrent. Dieu et
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