Comment vivaient nos ancêtres
un crâne à Rome, un autre à Soissons, et pas moins de quatre bras, entre Livourne, Cambrai, Rouen et l’abbaye de Liessins. Avec les prétendues reliques de saint Luc, on pourrait avec un peu de chance reconstituer une huitaine de corps. Sans parler de curiosités étranges comme le lait de la Sainte Vierge, les plumes de l’archange Gabriel ou des gouttes de sueur de tel ou tel martyr.
Tous ces saints font partie de la vie quotidienne. À l’église, ils sont représentés le visage et le corps taillés dans le bois ou la pierre, et l’on sait les reconnaître. Jamais, en effet, ils ne se montrent sans leurs « attributs », véritable pièce d’identité en rapport direct avec leur histoire ou leur mort, dont chacun de nos aïeux a mille fois entendu le récit. Saint Laurent porte ainsi le gril sur lequel on le supplicia, sainte Catherine de Sienne la roue où elle fut torturée, sainte Barbe la tour dans laquelle son père l’emprisonna, sainte Eulalie le plateau portant ses seins tranchés par ses bourreaux. Sainte Apolline tient une dent dans une tenaille car elle fut édentée par les coups de poing reçus à la mâchoire, saint Étienne tient en main une des pierres qui le lapidèrent. Saint Sébastien est toujours représenté nu, avec un pagne, le corps hérissé des flèches qui le transpercèrent, alors que le bon saint Nicolas a toujours à ses pieds un cuveau avec les trois enfants qu’il aurait sauvés. Saint Denis, décapité, tient sa tête dans ses mains et saint Christophe porte l’enfant Jésus sur ses épaules. Cette légende dorée n’en finit plus de présenter à nos ancêtres une formidable galerie de personnages admirables qui semblent leur ouvrir le chemin du ciel et qui, de plus – car chacun est spécialisé –, savent les protéger dans leur métier ou les guérir lorsqu’ils les prient.
Tous ces dons s’expliquent par la vie de chacun d’eux : sainte Barbe, enfermée dans la nuit de sa tour est à ce titre la patronne des mineurs en même temps qu’elle est celle des artificiers, des canonniers, des pompiers et de toutes les professions en rapport avec le feu, du fait que son père avait tenté en vain de la brûler. Saint Pierre, qui tient en main les clés du paradis, est celui des serruriers. Saint Joseph se voit naturellement confier les charpentiers. Chaque métier, selon les connaissances hagiographiques ou les conseils de quelque homme d’église, s’est choisi un patron qu’il ne manquera pas d’honorer le jour de sa fête.
La curiosité scientifique de nos ancêtres est vite satisfaite. C’est ainsi que les vignerons révèrent souvent saint Vincent parce que son nom, tout simplement, contient le mot « vin », comme les scieurs saint Simon (pour la syllabe « si ») ou les cloutiers saint Cloud. Sainte Claire, pour la même raison, guérit les maladies des yeux, comme saint Ouen la surdité à cause de la consonance de son nom rappelant le verbe ouïr. Le jour où il faut un saint pour protéger les oiseaux, on désigne saint Denis, après de longues discussions. La dernière syllabe de son nom n’en fait-elle pas un protecteur sur mesure pour la gent à plumes ? Ce même saint est déjà le patron de bien des métiers dont les arbalétriers. Il protège et guérit les enragés, hommes ou chiens. Mais qu’à cela ne tienne ! les saints, comme Dieu, ne peuvent moins faire que d’avoir le don d’ubiquité. Ils sont par conséquent toujours prêts à recevoir et à exaucer une prière.
Il en est même un, plus disponible encore que les autres, un propre à chacun, en plus du saint patron qui a prêté son prénom, en plus aussi de celui de la paroisse et de celui du métier, un rien qu’à soi, qui vous accompagne partout et à qui on ne peut rien cacher : c’est le « bon ange gardien », toujours prêt à prévenir des tours du Malin. La difficulté majeure est de s’y retrouver car, parmi les quelque cinquante-cinq saints qui guérissent de la fièvre ou les trente-cinq qui favorisent les accouchements, on cherche toujours le plus efficace. M. le Curé, heureusement, est là pour orienter. Ne connaît-il pas sur le bout des doigts toutes les protections que peut accorder tel ou tel saint de son église, dont chaque jour il va relever les troncs ? Le record va toujours ici à ce bon M. saint Antoine, tant imploré à chaque objet perdu. À la grande déception d’un curé de l’Orléanais, les fidèles semblent plus
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