Complots et cabales
m'apensai-je, Catherine n'est point céans pour ouÔr cette malencontreuse prédiction), et d'aucuns de mes hommes sont déjà au bout de leur pain, d'aucuns même n'ont plus un seul sol vaillant pour payer loyer à
leur logeuse. quant à nos beaux et bons chevaux, fierté de notre vie, faute d'avoir orge et avoine à leur donner, nous avons d˚ les louer à un manège, qui les nourrit sans doute, mais les g‚che et g‚te leur dressage en les faisant monter par le premier venu.
Tout en tenant ce discours si déconforté, Herr Hôrner, contrairement à son habituelle discrétion, ne laissa pas de puiser largement dans les friandises de gueule, tant est qu'à la parfin il en nettoya l'assiette. Ce qui me donna à penser qu'il se pouvait bien que lui aussi " f˚t au bout de son pain ". Cela me fit grand-peine, car j'estimais fort mes bons Suisses qui avaient quitté leurs montagnes natales faute d'y trouver pitance, et avaient choisi de quitter leur patrie pour venir en terre étrangère y louer leurs bras et exposer quotidiennement leur vie à seule fin de la gagner.
Bien je me ramentevais avec quelle loyauté, discipline et vaillance, ils avaient combattu avec moi et pour moi lors de l'emb˚che de Fleury en Bière, deux d'entre eux étant tués au cours du combat, et d'autres sérieusement navrés.
Exploit moins brillant sans doute, mais tout aussi 54
louable : au cours du siège de La Rochelle, faute d'avoir à m'escorter dans un camp riche de vingt mille soldats, ils s'étaient mis, de fort bon gré et avec beaucoup de patience et de suffisance, à reconstruire le mur d'enceinte du ch‚teau de Brézolles, lequel était par places entièrement écroulé.
- Herr Hôrner, dis-je, les choses vont changer pour vous et pour vos hommes, pour peu que nous nous mettions d'accord sur les conditions.
J'aimerais vous employer, d'ores en avant, sans limitation de temps, à
titre d'escorte permanente.
Hôrner n'en crut pas ses oreilles de cette proposition.
- Permanente, Monseigneur! s'écria-t-il, permanente! Mais ce serait le bonheur des bonheurs! Et la gr‚ce des gr‚ces! Gott im Himmell ! Permanente!
quel cadeau du ciel ! Ne plus sentir l'angoisse vous étreindre le coeur quand, une escorte touchant à sa fin, on aspire de toutes ses forces à en trouver au plus vite une autre ! Et cela, hélas, ne se fait pas toujours !
Bien loin de là ! Et qui d'entre nous, alors, ne connaît pas la peur du lendemain, et des vaches maigres, et de la famine finale, laquelle s'installe en vous, rongeant toute joie et fierté, tant est qu'on se sent démuni et en même temps rejeté d'un monde qui ne veut plus de vous !...
Ce disant, il suffoquait, tout trémulant d'un trop-plein de bonheur, tant est que je lui versai pour le rebiscouler un plein verre de mon vin de Moselle et, agitant ma clochette pour appeler le valet, je lui commandai de regarnir en friandises de gueule, sans tant lésiner, l'assiette vide.
Je proposai alors à Hôrner pour lui et ses hommes un vaste grenier au-dessus de l'écurie de mon hôtel de la rue des Bourbons, o˘ ils pourraient, comme à Brézolles, loger et faire la cuisine, les viandes leur étant fournies par mon intendant.
1. Dieu du ciel! (all.).
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Toutefois, chose qui me laissa béant, Hôrner, tout heureux qu'il f˚t, barguigna ‚prement quand on en vint aux soldes, alors même que mes propositions me semblaient des plus honnêtes. J'arguai, en effet, que lesdites soldes pour un permanent emploi ne pouvaient être aussi élevées que pour une escorte temporaire, alors que H˚rner tenait, tout au rebours, qu'elles devaient être semblables, le péril et le labeur étant les mêmes.
En fin de compte, j'eus quelque vergogne à discuter plus outre avec ces braves gens, si bons serviteurs et si fidèles (" en quoi vous avez eu bien tort", dit mon père), et donnai à Hôrner ce qu'il voulut, jugeant que cette dépense ne pouvait en rien m'appauvrir et qu'au surplus, ce n'était pas perdre pécunes que d'assurer la sécurité de Catherine dans les murs et hors des murs en mon absence.
Curieusement, bien que Catherine me s˚t le plus grand gré des soins que je prenais pour sa protection, elle envisagea aussi l'embauche permanente de Hôrner et de ses hommes de tout autre manière.
- La Dieu merci ! dit-elle, vous n'aurez plus d'ores en avant à vous rendre au Louvre accompagné - si l'on peut dire " accompagné" - par un pelé et deux tondus, au risque que nos coquebins de cour se
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