Complots et cabales
simultanément par la face sud que les Savoyards n'avaient pas cru bon de fortifier, et la ville fut prise en un tournemain. Je propose àVotre Majesté de suivre la même stratégie.
Ce rappel d'un siège presque vieux d'un siècle, soit qu'ils le connussent, soit qu'ils ne le connussent pas, laissa béants les maréchaux et les ancra dans cette idée - pour d'aucuns d'entre eux peut-être déquiétante - que Richelieu savait toujours tout sur tout et sur tous, dans la paix comme dans la guerre, et dans le présent comme dans le temps passé.
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- Ce choix-là me paraît, en effet, s'imposer, dit Louis d'un ton sans réplique. Messieurs les Maréchaux, notre entretien est terminé. Nous voulons toutefois que demeurent céans le maréchal de Créqui et le duc d'Orbieu.
Les trois maréchaux quittèrent alors les lieux et chacun d'une façon bien différente. Schomberg, en soldat discipliné pour qui un ordre est un ordre et ne souffre ni discussion ni même réflexion. Toiras, qui avait peine à
cacher la jubilation qui le soulevait de terre à l'idée d'avoir été compté
au nombre des maréchaux, et enfin Bassompierre qui, n'ayant pas voulu avoir part à la décision que le roi avait prise, allait d'ores en avant critiquer sans fin son principe et son exécution, comme il avait fait à La Rochelle du premier jour au dernier jour du siège.
Le pauvre Créqui, quant à lui debout et à peine debout, taillait bien triste figure, l'oeil larmoyant, le nez coulant et aspirant bien plus au lit et aux tisanes chaudes qu'à une pénible et longuissime marche dans les neiges du Gravere.
- Mon cousin, dit Louis en se tournant vers lui, votre fils le comte de Sault a fait ses preuves à la tête du régiment de Suisses qu'il commande.
Parce que ces Suisses sont montagnards, et parce qu'on me dit le plus grand bien du comte de Sault, j'ai l'intention de lui confier la mission de se porter sur le flanc sud des barricades de Suse et de l'attaquer avant que commence mon attaque frontale.
- Sire, dit Créqui, à la fois soulagé de ne pas subir cette épreuve, et en même temps navré de ne pas prendre le commandement d'une expédition qui e˚t ajouté à sa gloire, j'eusse avec joie assuré cette mission, si mon catarrhe ne m'avait pas en effet affaibli, et je vous suis infiniment reconnaissant de l'avoir confié à mon fils.
- Je vous remercie, mon cousin, dit Louis. Le docteur médecin Bouvard va vous accompagner à votre logis et vous donnera tous les soins que votre état commande.
Se tournant alors vers moi, dès que le maréchal eut franchi l'huis, Louis ajouta
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- Mon cousin, êtes-vous consentant à faire bénéficier le jeune comte de Sault de vos talents de diplomate et de votre connaissance de l'italien, ne serait-ce que pour gagner la confiance des paysans du Gravere et recruter parmi eux des guides ?
Dieu bon, m'apensai-je. Consentant ! Il ferait beau voir que je ne le fusse pas...
- Avec joie, Sire, dis-je avec un profond salut.
Je rejoignis mon logis d'Oulx, qui était bien fruste et bien froid comparé
au bel hôtel grenoblois de Madame de Chamont, avec laquelle je m'étais si bien conduit tout en la décevant, tant est que si ma conscience se trouvait satisfaite, ma tendreté de coeur ne l'était point. Ah lecteur ! - et vous, belle lectrice qui à ce propos, je le sens, allez froncer le sourcil.
Néanmoins permettez-moi de vous le dire sotto voce Dieu ! que l'exercice de la vertu est une chose ingrate ! Et comme j'aimerais que mes cantonnements ne me posent plus, comme celui-là, de troublants problèmes ! Et comme j'aimerais que mes hôtesses soient toutes des personnes dont l'‚ge a refroidi les ardeurs, ce dont, de reste, je doute fort pour les pauvrettes, c'est bien là le drame. Je me ramentois entre autres celle qui m'a si bien reçu en sa belle demeure de la Grande Gargouille à Briançon: vramy ! elle était toujours si émerveillablement coiffée et pimplochée, ses beaux cheveux blancs testonnés à ravir en jolies coques qui entouraient son beau visage, dans lequel brillaient de beaux yeux tendres, tristes et comme étonnés que la jeunesse se f˚t si vite en allée.
Puis pensant derechef à ma mission, je m'apensai avec quelque ironie que, même si j'avais peu de go˚t pour le métier des armes, du diantre si je savais pourquoi il me rattrapait toujours, et dans la forteresse de l'île de Ré avec Toiras et meshui dans le Gravere avec le comte de Sault. Après tout, si les
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