Complots et cabales
prendre dans tel ou tel prédicament. Je trouvai qu'il y avait dans ce propos une charmante bonne foi, et dès cet instant commença de lui à moi une amitié qui, à ce jour, dure encore.
Le trois mars 1629, sur l'ordre de Louis XIII, notre armée quitta Oulx et s'engagea sur le chemin qui longe la Dora Riparia. Et comme j'avais parcouru deux fois déjà ce dit chemin, et d'Oulx à Suse et de Suse à Oulx en passant par Exilles et Chiomonte, Sa Majesté m'envoya en avant-garde prévenir les habitants de notre survenue, afin qu'ils ne fussent pas épouvantés par une aussi grande armée.
Je demandai alors à Sa Majesté d'adjoindre à mon avantgarde les officiers du cantonnement, les tentes et leurs monteurs, et surtout le magnifique hérault qui m'avait précédé lors de mon ambassade à Suse, pour la raison que les paysans d'Exilles et de Chiomonte l'avaient trouvé si grand, si beau, si chamarré et son cheval aussi, qu'ils l'idol‚traient à l'égal d'un saint Georges, tant est que si une querelle surgissait entre un soldat et un paysan, le hérault n'avait qu'à paraître pour que tout s'apais‚t. Il est vrai qu'il avait reçu de moi l'instruction de donner de préférence raison au paysan, à moins que ses torts fussent flagrants.
Je pris rapidement une belle avance sur le gros de l'armée, tous mes hommes étant montés et moi aussi (ainsi que Nicolas qui me suivait comme mon ombre). Ma carrosse armoriée, brinquebalant en queue, fut indignée de se trouver mêlée aux charrettes roturières des impedimenta. C'est du moins le sentiment qu'exprima vertement son cocher àportée, bien s˚r, de mon ouÔe.
Mon Accla qui me boudait quand je la montais peu, et m'en voulait quand je la montais trop, était encore en ses charmantes humeurs matinales et je le voyais à ses oreilles qui me disaient des gentillesses par de petites trémulations,
et pour moi longeant la Dora Riparia, sur la route qu'avaient construite les Romains, je jetais l'oeil tantôt sur la claire et précipiteuse rivière, tantôt à senestre sur les hautes cimes qui se profilaient derrière elle dans la brume, tantôt enfin à ma dextre sur les montagnettes arrondies du Gravere. Je commençais à m'énamourer de ces sites alpestres, et je ne me sentis plus d'aise quand, trouant les nuages, un clair soleil apparut.
Hélas, c'était un soleil traîtreux. quand et quand, il nous réchauffait assez bien, nous berçant d'un faux espoir que l'hiver était fini. Et quand et quand, il s'escamotait derrière de gros nuages, nous replongeant dans la froidure.
Notre première étape était Exilles - village dont le lecteur se ramentoit sans doute qu'il était sis de l'autre côté de la Dora Riparia et qu'il était, en apparence du moins, belliqueusement flanqué d'une fortezza et d'un forte della guardia, ouvrages qui, lors de ma première incursion en ces lieux, me donnèrent quelque tracassin avant que je reconnusse qu'ils étaient sans garnison.
Dès que les paysans d'Exilles eurent reconnu de loin mon géantin hérault monté sur son géantin cheval, ils accoururent tous et toutes à notre encontre avec des signes amicaux, et bien firent-ils, car à cet instant même les charrettes portant les tentes s'enfoncèrent dans la neige, les roues en leur entièreté et les chevaux jusqu'au ventre. C'était la deuxième fois qu'à Exilles m'advenait cette mésaventure et bien m'aidèrent alors ces braves gens qui après avoir baisé les mains du H duca d'Orbioul " (c'était bien moi, lecteur, à n'en pas douter) et donné des brassées à l'étouffade à
ceux de mes gens qu'ils connaissaient, proposèrent de nous aider à nous désenliser, assistés aussitôt par les mousquetaires qui, tout nobles qu'ils fussent, retroussèrent leurs manches. Les pelles ne faillaient pas, Richelieu y ayant largement pourvu. Mais la conséquence de cela fut que je dépêchai aussitôt sans languir un message au roi pour lui conter ma mésaventure et le
1. Duc d'Orbieu.
102
prévenir que son artillerie, à mon sentiment, ne pourrait jamais franchir Exilles. Toutefois, il pourrait la faire passer par un solide pont de pierre de l'autre côté de la Dora Riparia et la retirer dans la fortezza o˘
elle pourrait être gardée en s˚reté jusqu'à la fonte des neiges.
Les choses se passèrent bien comme j'avais prévu et quoique le roi e˚t la mort dans l'‚me de laisser là son artillerie au moment o˘ il allait assiéger Suse, quand je le revis, il n'en laissa rien
Weitere Kostenlose Bücher