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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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de mode de nos jours de le faire, vouloir me parer d’une auréole de malfaisant précoce. Au vrai, j’étais surtout décevant, comparé au garçonnet modèle en lequel ma gentillesse de bambin avait permis d’imaginer que j’allais me muer. Élève médiocre de l’école communale de la rue Torcy, je tenais ferme le milieu du classement, un peu semblable au ludion en suspens dans le liquide de son bocal, sans velléité pour rejoindre le peloton de tête des fortiches bûcheurs, assez futé cependant pour n’être pas confondu avec les garnements à cervelle de piaf du fond de la classe. Position médiane convenant assez peu aux espérances fondées sur moi par mon paternel.
    Celui-ci avait rêvé pour moi d’une grande réussite dans la sécurité. Une tribu de cousins éloignés lui en fournissait le vivant exemple, comptant une herboriste, deux instituteurs et un directeur d’école communale. La somme de tant de savoir m’épouvantait dès que mon paternel m’en faisait l’éloge, c’est-à-dire une fois par semaine, au lendemain de la soirée qu’il passait rituellement chez ces parents à jouer au piquet, ou à écouter de la musique, l’herboriste touchant le piano, le directeur et ses deux frères raclant violon, alto et violoncelle. Ces talents supplémentaires ajoutaient à mon accablement, n’ayant moi-même jamais rien entravé au solfège, et chantant résolument faux. Devant tant de perfection accumulée, j’en étais venu à imaginer cette famille d’une espèce surhumaine, de toute façon différente de la nôtre, où aucun talent remarquable ne se révélait, et à en prendre peur.
    C’est à cette époque que fut entrepris le remplacement du pavage de grès, trop sonore sous les fers des chevaux et les cercles de fer des roues de voiture, par du pavé de bois. Le vieux fond de piraterie de l’esprit populaire se réjouit tout d’abord à l’apparence des chantiers, devant l’amoncellement des pavés de bois qui paraissaient devoir être un aliment de choix pour les poêles ! Maldonne ! Ce bois ignifugé et traité à la créosote refusait obstinément la combustion, ce qui, dans l’esprit du plus grand nombre de ceux qui l’avaient expérimenté, prenait l’apparence d’une odieuse brimade, du capital, suggéraient les revendicateurs les plus avancés ! Pour nous les moujingues, ce chantier interminable était l’occasion de dresser en paix des barricades, tout trafic étant interrompu. Incidence imprévisible, les enterrements durent, pendant quelques mois, faire un long détour pour gagner le cimetière de Pantin, alors que notre rue Riquet était la voie naturelle pour s’y rendre.
    Pour les grands comme pour les petits, les trousseaux masculins étaient alors élémentaires. Deux chemises de nuit de finette, car aucune chambre n’était chauffée. On y grelottait l’hiver, y cuisait dans son jus l’été. Trois chemises de jour, dont deux de travail et une « habillée » pour le dimanche. Cette dernière, passée dès le samedi soir, devait « faire », comme on disait alors, le lendemain, fût-elle trempée de sueur sous l’effet de la gambille ardente de la veille. On compte, en toute saison, sur le gilet de flanelle pour absorber cette transpiration et éviter le refroidissement, générateur, soutient-on, de tuberculose. Une légende veut aussi, même en période de canicule, qu’on ne doive jamais abandonner le port de la flanelle sous peine de risquer le pire. De caleçons, il n’en était pas question pour les enfants. Équipement réduit aussi en ce qui concerne la chaussure ; une paire de grolles d’usage pour le boulot, une seconde plus fine pour la sortie dominicale et la danse.
    Pour le vêtement, le port du complet-veston n’a pas encore conquis les couches populaires. Seuls les gandins, employés des commerces de luxe ou des bureaux dans le centre, donnent dans cette mode, nouvelle pour le faubourg, imités par de rares ambitieux en voie d’émancipation et mûrs pour l’embourgeoisement. Cette sorte d’évasion du milieu natal, tenue presque pour une désertion, vaut à ses transfuges un solide mépris des tenants de la tradition vestimentaire.
    Chaque métier s’exerce, en ce début de siècle, dans une tenue bien précise ; veste d’alpaga rase-pet et pantalon demi-hussarde rétréci à la cheville pour les travailleurs de force, terrassiers, couvreurs, plombiers-zingueurs, paveurs, charpentiers. Veste à petits carreaux bleus

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