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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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d’une carrosserie, à celui d’un serrurier, et encore à l’arrière du laboratoire d’un charcutier voisin. Huit fois par journée, retentissait la cloche de la carrosserie Marcou : dès sept heures moins dix pour ameuter les compagnons attardés au zinc du tabac voisin devant leur café arrosé, à sept heures pour marquer le début du travail, à midi moins dix : carillon d’arrêt du labeur, à midi : sortie du déjeuner, à une heure moins dix : signal de l’imminence de la reprise du boulot, à une heure : remise en marche des machines, à six heures moins dix : débrayage de fin de journée, à six heures : libération de l’ouvrier.
    Il devenait, dans ces conditions, difficile pour les locataires de notre immeuble d’oublier la dure nécessité de gagner son bœuf. En revanche, la précision rigoureuse des horaires carillonnés permettait presque de se passer de pendule.
    Cernée par trois corps de bâtiments, cette cour amplifiait étonnamment les bruits, sorte de caisse de résonance pour les engueulades qui, parfois, les soirs d’été où l’aramon avait coulé à flots, s’amorçaient de fenêtre en fenêtre entre grincheux ou entre commères assez mal embouchées. J’étais prié de ne rien retenir des grossièretés qui s’échangeaient, mais que je m’empressais d’intégrer en secret à mon vocabulaire. Morue ! vieille peau ! pouffiasse ! boudin ! salope ! se lançaient les nanas ; et les mâles d’intervenir en défenseurs de l’honneur de leurs ménagères émettant : pourri ! pédé ! bon à lape ! salingue ! satyre ! chiasseux ! dégueulasse ! fausse-couche ! et finalement, cocu ! Parfois suivait le défi suprême : « Descends t’expliquer si t’es un homme ! » La cour voyait alors l’affrontement à la châtaigne des deux champions avinés, courte partie de catch avant la lettre, durant laquelle jouaient pieds, poings, têtes, et que la mère Boutin, la pipelette, venait interrompre, séparant les antagonistes avant que trop de sang ne fût versé.
    L’honneur étant sauf, les gros mots s’oubliaient vite. L’origine de la querelle, nul n’aurait pu la dire à quelques jours de là, aussi la réconciliation était-elle prompte, et les cocards à peine résorbés, il n’était pas rare de surprendre les adversaires de l’avant-veille au comptoir du tabac, scellant devant une série de mêlé-cass la paix retrouvée et – la chose était fréquente – les prémices d’une amitié.
    Cette sonorité de la cour avait encore la vertu d’amplifier la voix des chanteurs ambulants qui venaient, presque à jour fixe, s’y produire. Leur sélection était l’affaire de M’ame Boutin, la bignolle, qui autorisait ou non l’aubade. La dilection de cette digne portière allait à la romance sentimentale à l’exclusion de tout chant patriotique ou des couplets teintés de revendications sociales. Un couple d’égrotants, ses préférés, faisait un succès avec Le Passeur du Printemps , accompagnés de vigoureux vibratos de mandoline par la femme à la chute du couplet :
    Venez, venez dans ma nacelle !…
    L’amour attend, l’amour attend…
    L’amour appel…le…
    Je suis le passeur du printemps !…
    Du printemps…
    et les piécettes d’un ou de deux sous, enveloppées en papillotes dans du papier journal, de tomber des fenêtres dans un crépitement amorti.
    Un autre favori de M’ame Boutin était l’Artiste. Rondouillard, enrobé dans une cape sombre, une lavallière noire tombant sur un gilet à fleurs, et portant le feutre noir à larges bords des rapins, l’Artiste triomphait, lui, dans la bluette agreste.
    Il la poussait d’une voix de basse quelque peu voilée par la pratique assidue de la mominette, assuraient les détracteurs prisant peu son répertoire. Ce répertoire allait des « Grands bœufs blancs tachés de roux » de Pierre Dupont, à une incroyable prière profane débutant par :
    J’allais cueillir des fleurs dans la vallée…
    Insouciant comme un papillon bleu…
    L’image de ce gras-du-bide mué en papillon bleu me déclenchait régulièrement des crises d’un irrépressible fou rire, ce qui me valait d’être tancé par ma mère, consternée de mon inaptitude à goûter les beautés de l’art.
    Je réservais, hélas, bien d’autres motifs de désillusion à ma pauvre maman. Non que j’aie été un galopin plus turbulent que la moyenne de mes petits camarades ; le prétendre serait, comme il est

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