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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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l’escalade de la rue de Crimée pour visiter ma famille bellevilloise, assez fier de tenir la bête en laisse comme si j’en avais été le propriétaire. Libérale, Mme Marguerite me glissait souvent vingt-cinq, parfois cinquante centimes, que j’étouffais, ne nourrissant plus d’illusions sur les placements que mon papa en aurait faits, en dépit de ses longues démonstrations sur la progression des petites fortunes par le jeu des intérêts composés.
    M. Louis et Mme Marguerite, dont tous les locataires connaissaient l’industrie, n’en étaient pas moins adoptés. Mme Marguerite tenant les mâles de l’immeuble à distance respectueuse, et M. Louis se montrant respectueux avec les dames. Ils étaient sans doute, tant pis pour la morale, les plus fortunés des locataires, possédant, alors qu’une bicyclette était déjà un signe extérieur d’aisance, un tandem. Aux beaux jours, le dimanche – sans doute n’y avait-il pas de Halles –, M. Louis et Mme Marguerite, dans des tenues cyclistes assorties et qui paraissaient fort élégantes, enfourchaient le tandem et disparaissaient jusqu’au soir, revenant guidon et porte-bagages chargés de fleurs. M. Louis qui avait, j’ai pu plus tard le vérifier, le type du barbeau bellâtre, avait le mérite de chanter dans le registre des barytons Martin des airs d’opérettes. Aussi, n’y avait-il pas de baptêmes, de noces, où, dans le désir de s’assurer le concours d’un tel artiste, ce couple barbeau-pute n’était, en toute innocence, invité.
    Vrai village, La Chapelle conservait encore au rond-point, face à la gare aux marchandises du réseau de l’Est, une ferme. Ses vaches allaient paître l’herbe maigre du glacis des fortifications, les « fortifs », les « lafs ». À l’heure de la traite, des ménagères se formaient en colonne pour être servies en lait mousseux tiède, auquel était prêtée, outre de singulières vertus nourricières et hygiéniques, l’assurance qu’il n’avait pas été mouillé, c’est-à-dire étendu de flotte, pratique, il faut le dire, dont trop de crémiers étaient alors coutumiers. Une basse-cour, au coq un peu trop claironnant au gré du voisinage, fournissait aussi les amateurs en œufs frais du jour. Des médisants soutenaient bien avoir vu une voiture en livrer des caisses en provenance directe des Halles ; l’illusion demeurait. Rue du Canada subsistait encore un maréchal-ferrant. C’est en artiste, sur mesure, qu’il façonnait le fer rougi au feu de la forge avant de l’appliquer sur la corne du sabot qui dégageait alors une fumée âcre. Hirsute, ceint d’un tablier de cuir, les avant-bras nus et noircis du diamètre d’un jambon, il nous apparaissait à nous, moujingues, comme un géant sans commune mesure avec l’espèce dont étaient faits nos paternels. Son aide, tenant ferme par le paturon la patte repliée du gail à ferrer, recueillait du chœur des mouflets son tribut d’admiration. Comme nous aurions aimé être enfin grands pour nous essayer à prendre sa place !
    Le charron, voisin immédiat du maréchal-ferrant, ne lui disputait la vedette que certains jours où il cerclait les roues. Là encore, l’attraction du feu, si puissante chez les mômes, rassemblait vite tous les traîne-galoches de la rue. Les yeux écarquillés, nous suivions dans tous ses détails l’opération. L’immense soufflet de cuir de la forge ahanait comme une bête monstrueuse. À même le foyer, le cercle de fer rosissait, puis rougissait, avant de passer au blanc. Des particules de métal s’en libéraient, semblables à des éclats d’étoile. C’était la féerie. À trois, les compagnons, des costauds eux aussi, saisissaient le cercle à la pince et venaient l’appliquer sur la jante de bois de la roue qui grésillait, fumait, puis, prestement du marteau, les trois bougres procédaient à force au mariage indissoluble du fer et du bois, que renforçaient encore quelques seaux d’eau froide, vite transformée en vapeur, dans le but d’assurer à la ferraille un retrait enveloppant rigoureux.
    On se logeait en ce temps selon ses moyens. Les mieux pourvus occupaient les logements sur rue, petite promotion d’aisance ; les plus démunis n’avaient vue que sur les cours. Aussi loin que je me souvienne, les crèches de mon enfance ont toutes donné sur une cour.
    Vaste et pavée de grès, celle de la rue Riquet ne manquait pas d’animation, donnant accès aux ateliers

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