Confessions d'un enfant de La Chapelle
plus mobiles ou plus décidés, les « Buzelins », de beaux dégueulasses, entre nous, nous avaient précédés sur le champ de bataille et occupaient un muret de moellons, d’où, bien retranchés, ils nous arrosaient de cailloux et de rogatons divers, sans prendre le moindre risque.
Déjà spoliés lors du partage, nous étions en passe d’être humiliés !
Ce fut le môme Fougère qui déclencha notre assaut, se ruant au cri de : « Bande de lopes, on va vous crever ! »
Sur sa trace, je fonçais, un mastard trognon de chou à la main, déterminé à faire du dégât. Un fragment de parpaing en pleine poire me stoppa un instant, les larmes aux yeux, puis un second projectile me vint atterrir sur le cassis. Je portai la main à mon front, croyant, à une sensation d’humidité, avoir dégusté quelque fruit pourri. Je la retirai gluante de mon sang que je voyais couler pour la première fois. Une boîte de sardines coupante comme un rasoir, méchamment balancée, m’avait ouvert le cuir chevelu, partie richement irriguée qui pissait le raisiné d’atroce façon.
Mes hurlements de terreur mirent fin au combat, tandis qu’un pharmacien tout proche mettait fin, lui, à l’hémorragie, à grand renfort de teinture d’iode, non sans m’engueuler copieusement. Traité de « petit arsouille », le crâne enturbanné de pansements, je passai le seuil de la boutique, propulsé par un solide coup de trottinet au cul.
Ce n’était qu’un début, et ma vaillance ne devait pas davantage être appréciée à ma rentrée à la maison. Ma pauvre mère fondit tout d’abord en larmes, redoutant le tétanos – un des épouvantements d’alors avec le croup. J’avais, quant à moi, adopté l’attitude du martyr, la jugeant la plus propre à me faire échapper à une possible correction, et je feignais une douleur parfaitement imaginaire. Blessé à la tête et geignant, je figurais parfaitement le garçonnet sage, victime de petites brutes. Hélas, une fois encore, cette honorable fiction ne devait pas résister plus d’une nuit aux indiscrétions ; de quel moujingue ? Je ne le sus jamais. Le certain est que le lendemain, au retour du marché, ma mère était parfaitement éclairée sur les circonstances de ma blessure, depuis la fauche du panier de prunes jusqu’au fatal jet de la boîte de sardines. Je devenais une petite fripouille qu’un jour ou l’autre il faudrait venir décrocher du commissariat, et j’aurais une chance bien imméritée si la marchande dévalisée ne portait pas plainte et renonçait à réclamer à mes auteurs le remboursement de sa camelote. Faux derches, plusieurs de mes coéquipiers reconnaissaient avoir mangé les mirabelles d’origine suspecte, mais tous me désignaient comme celui qui les avait fauchées. Déjà, mes illusions sur la solidarité des petits potes dans les coups durs recevaient une rude atteinte. Je devais, à la suite de cette mésaventure qui n’eut pas d’autres conséquences fâcheuses, vérifier combien est répandue la tendance à lâcher un ami, un confrère, un associé dès que les temps difficiles sont venus.
*
Outre le problème de l’air pur, restait à résoudre, durant les soirées d’été, celui de la boisson fraîche. Les carafes d’eau glacée, les cafetiers les réservaient pour les buveurs d’absinthe – perniflard ou mominette –, qu’on voyait aux terrasses, maîtrisant leur tremblote, faire perler goutte à goutte la flotte sur le sucre de la cuillère plate ajourée, posée en équilibre au travers du godet, rite respecté de la préparation d’une savoureuse « purée ». Pas question d’emprunter, ni même d’acheter de la glace au boucher ou au charcutier sur la provision de leur « timbre », chambre froide où les viandes, insuffisamment réfrigérées, se seraient rapidement corrompues. Chez les marchands de vins, aux « caves », les tutus, rouges ou blancs, étaient tièdes ; restait la ressource des petites bières, tirées à la pression, à la Chope du Lion , pour cinquante centimes le litre, diurétique puissant qui n’avait pas le temps de tiédir dans les verres.
Les marchands de coco ambulants, à un sou le verre, avaient vite épuisé leur réservoir en forme de tonneau, et leur provision de sodas, dont la bouteille s’ouvrait en repoussant une bille de verre que bloquait dans le goulot la pression du liquide. « Il est frais le coco ! », cri d’appel de ces petits forains,
Weitere Kostenlose Bücher