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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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rassemblait fessa les moujingues, ceux du moins qui étaient parvenus à gratter sur les commissions maternelles quelque bigaille. D’autres galopins, plus hardis, ouvraient, à l’aide d’un clou passé dans l’axe de commande du robinet, la bouche d’eau mise à la disposition des cantonniers pour le nettoiement des ruisseaux, et s’y baignaient avec volupté les orteils, dans le flot assez impur charriant crottin et pisse de gail.
    Les plus démunis du quartier, pour qui le vin était le luxe du dimanche, parfois des fêtes, n’avaient pour se désaltérer que la « boisson ». Sa fabrication réclamait la possession d’un tonnelet ; on y faisait macérer, puis fermenter de la feuille de frêne dans de l’eau, et les délicats additionnaient le liquide obtenu d’une petite dose d’acide citrique destiné à le rendre pétillant. Ayant goûté la « boisson » chez des voisins, je peux témoigner qu’à moins de dépravation du goût, il était exclu que quiconque ait pu en faire une consommation abusive.
    Chez les Simonin, la boisson de table était l’eau rougie, mon père, ayant la phobie de l’alcoolisme, buvait du café froid, étant professionnellement imbibé d’alcool. Le colorant des fleurs artificielles était alors l’aniline et son solvant l’alcool industriel. De ce fait, mon pauvre papa exerçait dans un atelier confiné où une dizaine de terrines vernissées contenaient les teintes à employer, diluées chacune dans cinq, et parfois dix litres d’alcool de betterave qui s’évaporaient, rendant l’air médicalement irrespirable.
    *
    D’autres, nés dans des quartiers plus rupins et de parents oseillés, ont joué au parc Monceau, à la Muette, au bois de Boulogne. Je n’ai connu que les verdures poussiéreuses du square Hébert ou celles à peine plus agrestes des Buttes-Chaumont. Simplement, je constate, sans la moindre pointe de jalousie, m’étant joyeusement diverti dans ces endroits, les Buttes surtout exerçaient sur moi une véritable fascination. Le prétexte pour m’y rendre était, certains après-midi du jeudi, une visite à mes grands-parents paternels fixés à Belleville, non loin de chez l’oncle Pierre. Encourageant cette manifestation de l’esprit de famille, ma mère m’octroyait alors cinquante centimes pour le transport. Dix centimes pour joindre, par le « Saint-Denis-République », la rue Lafayette où passait le « Cours de Vincennes-Saint-Augustin » qui, pour quinze centimes, aurait dû me déposer rue de Belleville. Qui aurait dû, car, au confort du tramway, je préférais l’aventure du cheminement par les rues où tant de choses se trouvaient à surprendre. Outre que j’étouffais les dix ronds.
    Posté à l’angle des rues Riquet et Pajol, où les véhicules devaient ralentir, je guettais le passage d’une bagnole à l’arrière accueillant. Celles transportant des fûts avaient ma préférence, pour la commodité offerte par le haquet, pièce de bois double faisant office de rail pour le déchargement des tonneaux, et dont une partie incurvée, dépassant durant la marche, constituait un siège presque confortable. Un temps de sprint, et je m’y juchais. Avec bonheur, six fois sur dix, le véhicule me menait droit au bassin de La Villette, pour moi source d’enchantement, avec son immense plan d’eau, enjambé par une passerelle métallique d’où j’avais vu, à l’occasion d’une fête nautique – joutes à la lance, régates à la rame et concours de pêche – un hardi sportif plonger depuis le sommet marqué par une horloge monumentale. J’en gardais un souvenir tenace, celui d’une fête colorée, qu’il ne me serait plus donné de revoir, sans pour autant moins apprécier le spectacle, celui-là perpétuel, de l’animation du bassin, avec ses grues déchargeant ou chargeant les chalands, qu’on pouvait aisément imaginer être venus du bout de monde ou y retournant. Parfois, un jour de chance, la montueuse rue de Crimée, que je devais gravir, se trouvait coupée par la manœuvre du pont mobile, levé pour le passage des péniches. Elles s’avançaient, ventrues, d’allure majestueuse, tirées depuis le chemin de halage, par un percheron poilu, mené en bride par un roulier placide, le fouet porté en sautoir.
    Passé cette petite pause récréative, se présentait la grimpette de la rue de Crimée, menant droit aux Buttes où les plaisirs se succédaient. Un tour à la grotte pour admirer un peu

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