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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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jalousement les évolutions des bateaux en réduction que des mouflets plus fortunés lançaient sur le petit lac intérieur. Venaient ensuite quelques minutes de guet derrière les pêcheurs à la ligne trempant du fil autour du grand lac, avec l’espérance, toujours déçue, de les voir capturer un poisson. Parfois, entamant mes dix ronds du retour, je m’offrais, pour un sou, un passage du lac par le bac mécanique, traversée qui ne devait pas durer trois minutes. Dans ce cas, mon cheminement comportait la montée, par un escalier obscur et suintant d’humidité, jusqu’au Belvédère réservant, un loueur de longue-vue l’affirmait, un panorama unique sur la ville et ses banlieues. Cette vision coûtait dix centimes. Jamais je ne vérifiais la véracité du propos. Pour voir quoi ? N’étant jamais sorti de mon faubourg, j’aurais été incapable de situer les monuments que le loueur énumérait d’une voix sonore. L’issue normale de ce Belvédère donnait sur le pont suspendu dit plus communément « pont des Suicidés » pour la jolie série d’amoureux et d’amoureuses romantiques ayant choisi, pour en finir avec une vie qui leur pesait, d’en franchir le tablier pour une chute libre d’une trentaine de mètres. Des superstitieux ne l’auraient emprunté à aucun prix, et assuraient qu’en le franchissant, on devait se bien garder de regarder le vide attirant, ou encore qu’un maléfice marquait cet ouvrage d’art qui, un beau jour, si l’on peut dire, s’effondrerait sous le poids des promeneurs assez fous pour s’y aventurer. Au vrai, sous les pas, certains jours, le sinistre pont tremblait, pimentant la baguenaude d’une pointe de terreur. Pour moi, j’étais presque à bon port ; sortant par la grille de la rue des Alouettes, j’arrivais en beauté chez l’oncle Pierre qui y avait sa demeure et son atelier.
    Tante Henriette m’y accueillait par l’offre, bienvenue, d’un verre de limonade ; l’oncle Pierre tenait en réserve, à l’usage des mouflets de la famille, un coffret de cigarettes en chocolat, gâterie qu’il devait rapporter de Suisse où il avait quelques parents. Ma halte commençait par une série de parties d’appareils à sous. L’oncle me remettait à cet effet une poignée de rondelles de métal au diamètre de la pièce de dix centimes, que des joueurs sans scrupule devaient avoir introduites dans ce circuit. Tricherie contre laquelle l’oncle Pierre cherchait vainement une parade inventive, le petit appareil magique qui aurait rebuté cette monnaie de la Sainte Farce, telle qu’il la nommait.
    Indifférent au dommage que subissait l’oncle, je trouvais ces rondibés d’excellent aloi, et devenais d’une certaine habileté à recueillir la bille d’acier propulsée par un ressort, détendu de la main gauche, dans le chapeau du clown que la dextre faisait coulisser latéralement sur un rail. Tel était le but à atteindre par le joueur qui, selon les trous où s’escamotait la bille, recevait un jeton de vingt-cinq, cinquante et même soixante-quinze centimes, à consommer de suite. Parfois, l’oncle en tournée de placement de ses jeux-pièges-à-sous dans les troquets, j’étais autorisé à feuilleter les volumes de sa bibliothèque, tous consacrés à la vulgarisation scientifique, de l’abbé Moreux pour l’astronomie, aux premières encyclopédies Larousse pour la Géologie et l’Histoire naturelle. L’heure tournait, et Tante Henriette ne manquait pas de me rappeler l’existence de mes grands-parents. J’aurais préféré, ô combien, demeurer là à détailler les planches vivement colorées et diablement évocatrices du royaume de la connaissance que je n’aurais jamais l’occasion d’explorer. J’en concevais une grande humilité, et en venais parfois à me demander si l’ancêtre Dalfon, le potard, n’avait pas vu juste en me reléguant dans le clan des branques. Enfin, le charme rompu, je refilais sans gaieté chez mes grands-darons, sachant y être accueilli sans enthousiasme excessif, leur attitude étant d’une rigueur poussée à l’extrême. J’étais certain à cette heure de les trouver disputant une partie de piquet commencée après le déjeuner et qui se poursuivait jusqu’à six heures, grand-mère François rompant, de bonne ou de fâcheuse humeur selon qu’elle avait gagné ou perdu, pour aller arroser les fleurs de son jardin ou ravitailler en grains et abreuver ses oiseaux logés, à la belle

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