Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
Vom Netzwerk:
poétique, d’où toute espérance de consommation se trouvait exclue. Qu’on n’aille pas me croire avoir été obsédé par le beau sexe au point de négliger ce qui pour un débutant pouvait s’apprendre dans le négoce des tissus. Garçon de magasin à certaines heures, pour le maniement des balles, j’avais vivement assimilé l’usage du compte-fils et vérifiais la conformité en chaîne et trame des pièces qui nous étaient livrées d’Angleterre. J’aunais certains jours, sur d’interminables comptoirs de bois équipés de mètres plats, le tissu des commandes de chemisiers, détachant le métrage d’un coup de ciseaux artiste, en glissade, la coquetterie du calicot, l’acier tranchant net avec un doux friselis les fibres de l’étoffe. Le père « la Moule », le vieux comptable, avait bien tenté de m’initier aux rigueurs de la facturation, mais y avait rapidement renoncé, m’assurant, devant mes multiplications fausses, que, la maturité me venant, les chiffres se combineraient d’eux-mêmes en bon ordre dans mon esprit.
    Charitable pronostic ! Tel, j’étais heureux, confiant dans la Providence pour me doter, lorsque la nécessité s’en ferait sentir, des qualités qui, selon l’opinion unanime de trop de gens, me manquaient. Le temps passant, je nouais de nouvelles amitiés, basées, celles-ci, sur des similitudes d’emploi dans le même quartier, d’identiques cheminements pour se rendre au boulot, ou en revenir, selon de mêmes horaires. Cette désaffection du copain d’école, d’immeuble ou de rue, au profit du p’tit pote laborieux, s’était faite sans rupture, selon une instinctive ségrégation, par le simple port du pantalon substitué à la juvénile culotte de l’écolier. Les garçons des générations d’avant 1914 avaient longuement envié le port de ce que certains, un peu infirmes de vocabulaire, nommaient communément le pantalon long, comme s’il eût pu en exister de courts.
    Témoignage irrécusable du passage de l’enfance à l’adolescence, le froc emplissait alors son porteur d’un sentiment tout nouveau d’importance, où, inconsciemment, dominait l’espérance de pouvoir enfin rivaliser avec les grands, corriger les inégalités découlant de l’âge et de la taille.
    Cette promotion vestimentaire dans la maturité, si exaltante pour le mouflet qui en était l’objet, amenait ses auteurs à affronter de rudes problèmes de trésorerie. Des mères industrieuses parvenaient bien à retailler des fringues de frères aînés à la mesure du nouveau travailleur. Exception heureusement assez rare, les produits de ce genre d’entreprise ne se recommandant pas par une particulière élégance. En ce qui me concernait, le procédé avait été envisagé, mais ma courte taille eût exigé une refonte si totale du vêtement original que ma mère y renonça. Je revenais de loin. Une fois encore le crédit Dufayel était venu à la rescousse. Je conservai longtemps de ma métamorphose de gamin en jeune homme un souvenir exécrable. La prévoyant imminente, j’avais poussé, sans en rien dire, quelques reconnaissances vers les rares boutiques de confection du quartier et bayé aux vitrines. Le coup de foudre m’avait frappé devant celle du père Blum, exposant un complet de gabardine d’un bleu marine lumineux, qui m’avait au premier regard semblé le seul digne de me convenir. J’étais loin du compte. Ma mère, ayant ajusté un chapeau sur son chignon, refusa tout net de venir même regarder le costard cher à mon cœur, m’expliquant, alors que nous gravissions la rue Doudeauville, en direction de Dufayel, que les pauvres, dont nous étions, avaient rarement l’occasion de choisir leurs fournisseurs. Mes illusions enfuies, je me retrouvai une heure plus tard étrangement attifé. Ignorant les prédictions de Mme Marguerite voyant en moi un futur « poisse-dudule », ma mère, fortifiée par la conviction de mon père de me voir triompher dans le « commerce », avait dans ses choix forcé sur le caractère convenable de mes frusques. Sur un pantalon à larges raies grises et noires alternées, était venue se poser une veste d’un peigné rêche de teinte indécise tirant sur les gris fer. Une paire de bottines noires à boutons achevait de donner à l’ensemble le genre « comme il faut », selon l’assurance que donnait à ma mère le vendeur, satisfait sans doute de nous avoir refilé des « rossignols ». Quant à moi, dans

Weitere Kostenlose Bücher