Confessions d'un enfant de La Chapelle
va-et-vient dans l’escalier reliant le sous-sol au petit office du salon de thé, lorsque surgit le chef pâtissier.
— Laisse tomber ça, petit, m’intime-t-il… Les sorbetières sont en panne !…
Les pièges du Destin sont si subtils que le propos du chef me réjouirait plutôt. J’y vois l’occasion de donner toute ma mesure, et adopte sur-le-champ mon attitude de petit prodige maître en fluide.
— Tu crois que ça va remarcher ? me demande le glacier, planté telle une âme en peine devant ses engins inertes.
Il s’agit de deux cuves réfrigérées de vingt litres où des pales entraînées par un moteur unique brassent les crèmes, succulentes à l’égal de tout ce qui se maquille dans cette cabane.
À la question du glacier, j’oppose un sourire, appuyé d’un haussement d’épaules qui le range parmi les hommes de peu de foi, mais m’enquiers cependant de la façon dont s’est produite la panne. Il l’ignore. L’appareil fonctionnait : le temps qu’il aille pisser, siffler un bordeaux blanc, puis revienne, l’engin ne tournait plus ! Cette imprécision sur l’instant n’est pas pour me déplaire. Sérieux comme un pape, je commence mon auscultation par les fusibles. Ils sont intacts. Me montant une courte baladeuse, je tâte le rhéostat : le jus passe ! Une sourde inquiétude point dans mon citron. Grimpant jusqu’au moteur, je tâte l’arrivée aux bornes, là encore, le jus passe. Un coup de toile émeri au collecteur et aux charbons me requinque l’espérance. Une goutte d’huile aux paliers ne peut qu’aider à une bonne rotation : je la verse. Et puis, redescendu de mon échelle, me portant au rhéostat, j’envoie le courant. Pour que fifre ! Là-haut, sur sa planchette, le moulin n’a pas un tressaillement ! Une rage me prend, semblable à celle du primitif devant l’inertie de la matière. Putain de moteur !… me faire ça ; après les bons soins que je viens de lui prodiguer !… Je vais le dresser, moi !… Déjà, j’ai mon darracq [8] en pogne, déterminé à lui en filer une volée de coups sur la carcasse, à ce malveillant têtu, à qui je prête connement des réactions humaines.
— C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?… Y a quarante kilos de camelote dans les vases… des commandes à livrer !… Démerde-toi et magne-toi le cul !…
Pas gracieux le chef dans l’encouragement à bien faire ! Jamais encore, il ne m’avait parlé avec cette rudesse. Cette ordure de moteur, pas à tergiverser, faut qu’il tourne malgré ses caprices. C’est alors que l’idée me vient, avec une réminiscence de propos de mon frangin André, concernant les moteurs en cage d’écureuil. Ces engins tournent indifféremment dans un sens ou dans l’autre. Peut-être mon rétif appartient-il à cette espèce ? Inversant l’arrivée de courant aux bornes, sans doute va-t-il se mettre à ronfler, non plus de gauche à droite, mais de droite à gauche, ce qui sera sans importance, les pales des sorbetières n’en battant pas moins les crèmes !…
Pensé en un éclair, exécuté avec célérité, je me retrouve près du rhéostat. Le glacier, qui a suivi ma manœuvre, me gaffe, souriant. J’envoie le jus sur le premier plot. Silence de mon adversaire. La charogne persiste à ne pas moufter. J’enrage, passe le second, puis le troisième plot. Cette fois, flammes et fumée jaillissent du moteur même, courant au long de la moulure comme des feux follets ; dans leur boîte vitrée, les fusibles claquent sèchement, jetant une lueur bleuâtre. Je coupe le courant, les guibolles en guimauve, et commence à rassembler mes outils. Les moulures et les câbles qu’elles protègent ont cessé de riffauder, se satisfaisant de charbonner dans une assez inquiétante puanteur de caoutchouc.
— Vaudrait peut-être mieux appeler les pompiers !…
Ce sage avis est émis par le glacier. Les trois confiseurs, en bloc, ont déjà quitté leurs vestes blanches de travail, et passant leur veston se dirigent fessa vers la sortie débouchant rue du Mont-Thabor. Quatre pâtissiers leur filent le train. C’est le sauve-qui-peut. Pas bon pour expliquer aux pompiers quel traitement j’ai fait subir à ce maudit moteur, j’accélère le rassemblement de mes clous, boucle ma boîte, et la calant sur ma hanche, je suis le mouvement de reflux. Le chef pâtissier m’alpague près de la lourde.
— C’est toi, petit con, qui as foutu ce bordel ?… T’as
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