Consolation pour un pécheur
dit Isaac. Je le sens dans l’air et dans mes os.
— Oui, fit Astruch en se versant un peu de vin auquel il ajouta une bonne quantité d’eau. Permettez-moi de vous donner du vin.
Il versa un second gobelet semblable au premier sans même attendre la réponse.
— En revanche, je n’aime pas le son de votre voix, maître Astruch. Je crois que quelque chose vous cause des soucis. J’espère me tromper. Tout va bien chez vous ? Votre épouse ? Vos enfants ?
— Mais oui, très bien, le Seigneur en soit remercié. J’ai certes quelques ennuis, mais ils sont futiles, surtout lorsque vous me rappelez ce qui est important – ma famille, ma communauté.
— Ils doivent être néanmoins considérables car j’entends votre voix trembler, dit le médecin. Souhaitez-vous en parler ? Ou les oublier ? Je puis vous recommander une partie d’échecs, mais vous devrez être tolérant car vous êtes un joueur bien plus habile que Son Excellence l’évêque.
— C’est pour évoquer mes petites difficultés que je suis venu vous voir, maître Isaac. Pour profiter de votre bonne nature et vous demander votre avis. Ensuite nous disputerons une partie et je ne me montrerai pas trop dur.
— Parfait. De quoi s’agit-il ?
— La disparition dramatique de Gualter Gutiérrez m’a placé dans une situation très délicate, commença Astruch.
— Vous ? Mais comment ?
— Récemment, j’ai avancé une forte somme d’argent à cet homme, dit-il avec la sécheresse et la précision qui le caractérisaient. Je ne craignais pas le moindre problème. Nous avons souvent traité ensemble au fil des ans. Quand il a entrepris de développer son négoce, maître Gualter m’a souvent emprunté de petites sommes destinées à le dépanner jusqu’à la prochaine rentrée – pour payer ses ouvriers ou acheter de meilleures peaux. Bientôt il fut assez prospère pour disposer de ses propres réserves. Il empruntait moins souvent, mais des sommes plus importantes, en vue de projets plus ambitieux – la construction d’un nouvel entrepôt, par exemple. Ce qui n’a jamais changé, c’est son attitude une fois qu’il avait cet argent. Il se faisait un point d’honneur de rembourser scrupuleusement ce qu’il devait, sans chercher d’excuses ou se plaindre de difficultés.
— Un homme idéal avec qui traiter, assurément.
— Oui. Il y a quatre nuits de cela, il est venu me trouver. Il désirait emprunter une grosse somme en vue d’un projet très particulier, m’a-t-il dit. Ce ne serait que pour un mois, pensait-il, deux tout au plus. Je ne lui demandai pas la nature de ce projet. C’était inutile. Il avait toujours d’excellentes raisons lorsqu’il empruntait, et nous nous faisions entièrement confiance.
— A-t-il signé une reconnaissance de dette ? demanda Isaac.
— Bien évidemment. C’était un prêt, et il le faisait toujours. Un jour qu’il était particulièrement pressé, je lui offris de rédiger ce papier et de le lui envoyer afin qu’il y appose sa signature. Il me fit remarquer qu’il pouvait être tué en chemin, et alors, qu’adviendrait-il de moi ?
Il s’arrêta de parler pour boire un peu de vin.
— Voilà l’homme qu’il était, conclut-il.
— Dans ce cas, je ne vois pas ce qui vous inquiète…
— Isaac, Isaac… Il y a quelque chose que vous ignorez encore. C’est le montant du prêt qui est en cause. Je lui ai avancé bien plus que je ne pouvais me le permettre parce que je le connaissais. Et si une grosse somme lui a effectivement été dérobée, ainsi qu’on le raconte, je me demande quelles sont mes chances d’être remboursé. Ces dernières heures, j’ai entendu plusieurs chiffres – tous très différents – concernant l’importance de ce vol. Savez-vous quoi que ce soit ?
— Oui, répondit Isaac non sans hésitation. Vous vous rendez bien compte que l’on m’a confié ce chiffre sous le sceau du secret et que c’est une chose qui ne doit pas se répandre.
Astruch eut un geste d’impatience.
— Dites-moi seulement combien, Isaac, et je n’en parlerai pas en dehors de cette cour.
— Quinze mille maravédis d’or.
— Quinze mille, répéta Astruch d’une voix blanche.
— Combien lui aviez-vous prêté ?
— Cinq mille.
Le banquier vida son gobelet et s’en versa un autre.
— Il a dû tout convertir en or, dit-il. Il ne restera rien.
— Sauf la propriété et les biens contenus dans
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