Consolation pour un pécheur
son visiteur. Il lui indiqua une chaise près de la table ronde qui occupait une grande partie de son cabinet et prit un siège.
Ce cabinet était une pièce agréable, autrement plus agréable que le réduit du père de Martí. Chaque élément était en parfaite harmonie avec son propriétaire, comme s’il avait poussé autour de lui. Il régnait une odeur accueillante de cuir, de cire d’abeille et de bois. La table à laquelle ils étaient assis était d’un bois de couleur sombre, sculpté à la périphérie d’un motif compliqué et patiné de façon homogène. Sur sa surface lisse était posé un petit pupitre soutenant un livre ouvert, des plumes, un couteau destiné à les tailler, de l’encre, un étrange récipient de pierre brute plein de sable et la feuille de papier sur laquelle Astruch écrivait avant d’être interrompu. Près de la table, deux étagères de bois poli portaient une impressionnante collection de livres – une trentaine, selon l’estimation de Martí. Derrière Astruch, une tenture murale présentait des sujets d’inspiration mauresque aux couleurs riches quoique discrètes. Avant même que Martí eût achevé son inspection des lieux, un serviteur et un jeune garçon apportèrent des plateaux de rafraîchissements. Ils les placèrent à portée des deux hommes et se retirèrent en silence.
— Je n’ai pu m’empêcher de remarquer que vous avez examiné ma retraite, dit Astruch. Regardez-vous pour critiquer ? Ou pour admirer ?
— Pour admirer, maître Astruch, répondit Martí. Elle donne l’air d’être modestement meublée, pourtant son confort confine à l’opulence.
— Voilà bien des louanges, maître Martí. Elle abrite une collection d’objets familiers acquis au cours de plusieurs générations. Il y a même la pierre de mon arrière-grand-père, fit-il en posant avec affection la main dessus. Celle qu’il utilisait pour le sable destiné à faire sécher l’encre des parchemins sur lesquels il écrivait… il y a longtemps de cela. Encore enfant, il l’a trouvée sur la grève, avec sa forme étrange, et l’a conservée à cet usage. Mais je vous en prie, prenez donc un rafraîchissement. C’est une chaude journée, et cela vous fera du bien.
Le jeune homme pâle refusa cependant toute nourriture et toute boisson.
— Pardonnez-moi, s’excusa-t-il, mais je ne puis apprécier de telles choses tant que je ne vous aurai pas parlé.
— Dans ce cas, répondit Astruch, si cela peut libérer votre conscience, parlez librement.
— Aujourd’hui – ce matin même –, j’examinais des papiers dans le cabinet de mon père. Il est nécessaire que nous sachions exactement où en sont ses affaires si nous voulons y mettre de l’ordre.
— Bien entendu. Je comprends tout à fait. C’est une tâche bien triste, mais effectivement nécessaire.
Martí eut un geste de la main comme s’il voulait écarter toute marque de sympathie.
— Ce faisant, je suis tombé sur une annotation de la main de mon père. Elle date d’il y a cinq jours et évoque une dette – un prêt que vous lui avez consenti, maître Astruch, et qui se monte à cinq mille maravédis.
— Cette dette existe bien, j’en conviens.
— Elle doit être remboursée dans vingt-cinq jours.
— Je pense, oui. Si vous voulez bien me permettre de vous…
— Je vous en prie. Écoutez ce que j’ai à vous dire.
Astruch hocha la tête avec gravité.
— J’ignore ce que vous savez des circonstances de la mort de mon père, mais une grosse somme lui a été volée alors – une somme si importante qu’il nous sera difficile de réunir cinq mille maravédis dans vingt-cinq jours. Mais nous y parviendrons, je puis vous l’assurer. Aujourd’hui même, j’ai apporté un acompte destiné à vous faire connaître mes bonnes intentions.
Il dénoua les cordons de sa bourse et en tira deux maravédis.
— Ce n’est pas beaucoup, je le sais, mais c’est tout ce dont je dispose en ce moment.
— Dans ce cas, répondit Astruch, c’est encore trop.
Il repoussa l’une des pièces d’or vers le jeune homme.
— Reprenez-la, je vous prie. Votre père, ce malheureux homme, a déjà payé de son sang. Je collecterai ce qui m’est dû auprès de ses voleurs, mais pas auprès de vous ni de votre mère qui êtes tous deux irréprochables. Cependant, puisque vous me le proposez, je prendrai ce maravédis à titre d’intérêt. Je vous le rendrai quand j’aurai réussi à
Weitere Kostenlose Bücher