Consolation pour un pécheur
elle engagera un professeur. Nous allons commencer ce matin pendant que vous êtes encore frais. Vous pourrez sortir votre jument dès que nous aurons fini.
— Mais je n’ai ni épée ni…
— Ne vous souciez de rien.
Le capitaine disparut un instant dans la salle de garde et rapporta une boîte de forme oblongue.
— C’est pour vous. Il semble que Sa Majesté vous ait promis une épée. La voici enfin prête.
Yusuf déposa soigneusement le paquet sur le banc et dénoua la corde qui maintenait la toile en place. La longue boîte de bois renfermait une épée ainsi qu’un fourreau, un baudrier et des gants.
— Les bottes et le chapeau sont aussi arrivés, ajouta le capitaine avec un signe de tête en direction de la salle de garde. Sa Majesté fait toujours les choses comme il convient. Mais la tenue n’est pas très importante à cette heure. Ce qui nous intéresse en premier lieu, c’est de savoir si vous savez tenir une épée.
— Quand commençons-nous ?
— Immédiatement, bien entendu.
Les cloches de la cathédrale sonnèrent sexte. Le soleil à son zénith resplendissait sur les prairies et, sur les terres situées de l’autre côté de la rivière Onyar, les hommes en sueur se hâtaient d’achever le travail de la semaine, pestant au passage contre la chaleur et les mouches qui tourmentaient leurs bêtes. Les boutiques étaient emplies de ménagères acariâtres qui chargeaient leurs paniers.
À l’intérieur des hautes murailles du Call, on n’entendait que le murmure lointain des commerçants et le tintement omniprésent des cloches permettant à chacun, Juif ou chrétien, de connaître l’heure. De petits groupes d’hommes bavardaient dans les rues ombragées ; dans la cour d’Isaac, la fontaine prodiguait un peu de fraîcheur. Tout était calme, plaisant, et les occupants de la maison s’étaient installés sous les arbres ou à l’ombre du mur sud.
Seul Yusuf était absent. Judith avait fermement décrété que personne ne devrait demander au garçon de travailler pendant le shabbat. Raquel avait fait remarquer que certains de leurs voisins ne se privaient pas de faire trimer des esclaves musulmans même le jour du shabbat, mais sa mère s’était montrée inébranlable. Puisque nulle créature vivante – homme, femme ou bête – ne devait travailler ce jour béni, cela incluait de facto un petit musulman, quel que fût son statut. C’est ainsi que Yusuf pouvait profiter pleinement de sa journée.
C’était jour de marché à Gérone et, comme il le faisait souvent, il passa son temps libre à déambuler sur la place et dans la ville jusqu’au coucher du soleil. Ce matin-là, dès que ses leçons au palais s’étaient terminées, il était revenu à la maison – le bras droit douloureux après un exercice aussi inhabituel –, assez longtemps pour engloutir son dîner, composé de pain et de tranches de viande.
Un repas froid était disposé sur la table à tréteaux ; ceux qui avaient faim se servaient à volonté chaque fois qu’ils le désiraient. Tant que prévalaient le bon ordre et une paix relative, Judith s’autorisait à relâcher la surveillance qu’elle exerçait de l’aube au crépuscule sur les repas familiaux.
Assise près de la fontaine, Raquel écouta le pépiement des oiseaux jusqu’à ce que le fracas des cloches couvrît leur chant.
— Je crois que c’est le moment de la semaine que je préfère, dit-elle quand les cloches se furent tues.
— Parles-tu de l’heure du midi ? lui demanda Isaac.
— Non, papa, je parle de l’instant présent, en ce jour de shabbat.
— Pourquoi cela ? La soirée d’hier, avec l’excellence de son dîner et la beauté de ses rites, le surpasse certainement.
— Vous avez raison, papa. Et quand je pense à la famille, c’est cette image qui me vient à l’esprit. Mais aussi ceci. Maman est assise, calme et heureuse. Elle sait qu’elle n’a rien à faire. Dans quelque temps, elle mangera un peu – pour shabbat, elle ne se nourrit que de ses mets préférés, je l’ai remarqué – puis elle passera son après-midi à dormir. C’est le seul moment où elle s’autorise un peu de repos. À moins que le temps ne soit trop frais ou trop humide, nous nous trouvons ici, dans cette cour. J’aime cet endroit et ses oiseaux. J’aime vous parler ainsi, sans évoquer les malades ni les problèmes – bavarder, tout simplement. Je crois que je dois être un peu paresseuse,
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