Consolation pour un pécheur
pourrait vous aider si vous connaissiez mieux Baptista. Ça m’a tracassée que tout le monde dise que maître Astruch l’avait prise, cette coupe, parce que je sais qu’il n’était pas sur la liste de Baptista.
— Qui s’y trouvait ?
— Je ne puis le dire, maître Isaac. Je ne l’ai jamais vue. De toute façon, ça ne m’aurait pas servi à grand-chose vu que je n’ai pas appris à lire ou à écrire, sauf pour noter ce qu’on me doit. J’en sais assez pour gribouiller une addition, mais cette liste était écrite, et il ne me l’a jamais lue.
— Dans ce cas, insista Isaac, comment savez-vous que le nom de maître Astruch ne s’y trouvait pas ?
— Parce que c’est un Juif, répondit-elle simplement. Baptista disait qu’un Juif ou un Maure ne verrait dans cet objet qu’une coupe à boire et paierait en proportion. Lui voulait plus que cela. Il n’y avait donc pas de Juifs sur la liste de Baptista.
— Cela ne m’étonne pas, dit sèchement Isaac.
Elle poursuivit, comme si elle ne pouvait entendre aucune voix en dehors de la sienne propre.
— Il n’y avait que de riches chrétiens – riches et crédules, espérait-il.
— Je m’interroge toujours, maîtresse Ana. Pourquoi êtes-vous venue me trouver ?
— Je ne connais pas maître Astruch. Ce n’est pas un buveur, et Rodrigue et moi, on n’a pas besoin de banquier. Malgré tout, d’après ce que j’ai vu ou entendu, je crois que c’est un honnête homme. Je n’aimerais pas le voir souffrir à tort rien que pour faire plaisir à ses ennemis.
— Vos sentiments vous honorent, maîtresse Ana, murmura le médecin.
— Ils ne sont ni meilleurs ni pires que ceux de la plupart des gens, vous savez. Maître Isaac, Baptista me faisait rire. Je veux que son assassin soit arrêté.
Elle se leva et s’enveloppa à nouveau dans son voile.
— Et je crois ce qu’on dit : que vous pouvez le faire. Voilà, c’est tout ce que je voulais vous raconter, maître Isaac. Sauf, ajouta-t-elle, que si je savais qui l’a tué, c’est moi, sans l’aide de personne, qui lui enfoncerais un couteau entre les côtes.
— Viendrez-vous avec moi pour répéter votre histoire au secrétaire de l’évêque ?
— Je ne sais pas trop, répondit Ana.
— Votre santé continue à s’améliorer, Votre Excellence, dit Isaac après avoir écouté la poitrine de son patient.
— Je me sens toujours fatigué, mais au moins je réussis à dormir, répondit Berenguer. Je n’ai pratiquement fait que manger et dormir depuis que je vous ai vu. Je recouvre des forces à une vitesse surprenante, me semble-t-il.
— Excellent. J’ai amené avec moi la femme qui logeait la malheureuse victime. Elle racontera son histoire au père Bernat, qui vous la lira quand vous vous en sentirez capable. Mais je tiens à ce que vous sachiez qu’elle a vu la coupe qu’on prétend être le Graal. Elle l’a manipulée et l’a même un peu lustrée. En dépit de cette expérience, je puis vous assurer qu’elle va parfaitement bien.
— Qu’elle parle devant le conseil. Cela n’a rien à voir avec le diocèse. C’est un problème d’ordre civil, pas religieux. À présent, j’aimerais me rendormir, dit Berenguer en roulant sur le côté.
— C’est une très bonne idée, Votre Excellence.
— Isaac, n’allez raconter à personne que je me sens mieux. J’apprécie tant le calme…
— Ne craignez rien, Votre Excellence. Pas même au père Bernat ou au père Francesc ?
— Ils peuvent venir me voir. Je leur dirai alors ce qu’ils doivent savoir.
CHAPITRE XIII
Samedi 7 juin 1354
Une heure au moins avant que les cloches de la ville ne sonnent prime, Yusuf parcourut la courte distance qui séparait la maison d’Isaac des quartiers des gardes. C’était là que se trouvait son matériel d’équitation. Le capitaine l’attendait sur le pas de la porte.
— Vous allez apprendre quelque chose de nouveau ce matin, maître Yusuf, lui dit-il.
— Et de quoi s’agit-il ? fit le garçon avec méfiance.
— Sa Majesté a suggéré que vous étiez en âge d’apprendre à manier l’épée – et découvrir à quoi cela sert. C’est pourquoi Son Excellence va vous faire donner des cours d’escrime.
— Mais qui va m’enseigner ?
Yusuf regarda autour de lui comme s’il s’attendait à trouver un maître d’armes caché derrière un tabouret.
— Son Excellence me confie les bases de votre éducation ; ensuite
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