Consolation pour un pécheur
raconté à un frère qu’il passait souvent le reste de la journée dans les pâtures, couché dans l’herbe à regarder les nuages qui se formaient autour des pics, à moins qu’il n’erre sans but sur les versants ou dans la forêt.
« Il a vécu ainsi pendant des années, pauvre et méprisé de ses voisins. Il entretenait un petit jardin de fleurs. Il apportait les plus belles à l’église et les plaçait devant la fresque de Notre-Dame, mais il ne le faisait que pendant la semaine pour que personne en dehors du prêtre et de Notre-Dame elle-même ne sache qu’elles étaient là. Je crois que, pour lui, c’était leur église – à lui, au père Xavier et à Notre-Dame. J’ai remarqué qu’il ne comprend quasiment rien aux complexités de notre foi. Il ne connaissait que la fresque et les dalles bien balayées. Elles lui appartenaient.
« Une voix dans sa tête lui a alors dit qu’il devait entrer, comme il le faisait toujours, très tôt, avant l’arrivée du père Xavier.
« À nouveau il a posé la main sur le loquet, pour découvrir cette fois-ci qu’il n’était pas brûlant mais au contraire glacé comme un vent matinal. Il entra donc, et la pénombre familière l’enveloppa. “Maintenant fais comme je t’ai dit, lui ordonna la voix. Rien ne t’arrivera si tu m’obéis.”
« Il scruta la fresque admirable et colorée présente derrière l’autel. Les visages peints, qui étaient à la fois sa force, ses amis et sa consolation, avaient pris un air sinistre. Notre-Dame, dont les mains voilées tenaient la sainte coupe, ne lui souriait plus. Comme la lumière se faisait plus vive, il crut voir sa tête remuer en signe d’avertissement. La voix submergea alors ses propres pensées. “Tu dois le faire aujourd’hui, sinon tu vivras misérablement et seras méprisé à tout jamais.”
« Il se cacha les yeux et se détourna de la fresque car ce serait certainement plus facile s’il ne voyait plus leur visage. Il se dirigea vers une armoire en bois dissimulée derrière une tenture et, prenant la lime qu’il cachait sous sa tunique, s’attaqua au fermoir métallique de la serrure. Quand celle-ci eut cédé, il se servit de la lime comme d’un levier pour ouvrir la porte.
« Cette petite armoire contenait quelques objets du culte rarement utilisés. Joaquim prit une coupe en argent, ternie et bosselée, dépourvue d’ornementation – d’après ce qu’il m’a dit, car je ne l’ai pas vue. Il la fourra dans sa tunique, puis jeta la lime et se prépara à sortir. Le métal tinta en heurtant les dalles de pierre, selon lui.
« Un chœur de voix s’éleva alors dans l’église déserte pour crier sa douleur. “Arrête, Joaquim, arrête !” Ces voix, il en était certain, ne résonnaient pas dans sa tête. Elles émanaient des murs, c’étaient les voix de ses saints qui l’appelaient pour lui faire comprendre qu’il avait commis une chose horrible et irréparable.
« Il ouvrit la porte à la volée. Une fois dehors, il se mit à courir.
— Il vous a confié tout cela ? s’étonna Berenguer.
— Oui, mais pas en une seule fois et pas en ces termes.
Don Vidal s’arrêta pour boire un peu de vin, puis il reprit :
— Quand il arriva au lieu du rendez-vous, le soleil était déjà assez haut. L’homme à la voix – c’est ainsi qu’il l’appelle – l’attendait dans un petit vallon, mollement allongé au soleil et le visage radieux.
« Joaquim plongea la main dans sa tunique et exhiba la coupe. “La voilà !” cria-t-il en la lui jetant et en poursuivant son chemin.
« L’autre lui cria d’attendre et dit “Voilà pour toi” en lui lançant une petite bourse. “C’est toi qui as pris tous les risques. Nous partagerons les bénéfices dès qu’elle sera vendue.”
« Mais Joaquim lui répondit qu’il ne voulait pas de son argent et laissa la bourse là où elle était tombée avant de poursuivre son chemin. Voilà.
— C’est donc d’un calice volé à Taüll qu’il s’agit, dit Berenguer.
— Ce garçon a énormément souffert de son acte.
— Il n’aurait pas dû le commettre. Ou bien il aurait dû rendre cette coupe au lieu de la transmettre à un complice. C’est tout ?
— C’est tout ce dont il se souvient, selon lui. Je me suis demandé si le complice en question ne lui avait pas donné un coup sur la tête.
— C’est possible. Avez-vous appris quelque chose d’intéressant de la part du monastère de
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