Consolation pour un pécheur

qu’il vaut mieux le laisser à d’autres. À cause de vos ingérences, Don Vidal a passé la matinée ici. Un de ses moines a trouvé le jeune Daniel dans le jardin du monastère en train de parler de façon pressante à Joaquim, et voilà qu’il croit que j’envoie des espions dans son abbaye pour apprendre ce que font ses moines.
    — Je n’aurais voulu cela pour rien au monde, Votre Excellence.
    — Nous parlons de Don Vidal, Isaac. Savez-vous ce que cela signifie ? Bien que nous ayons des divergences d’opinion de temps à autre, Don Vidal a toujours été un allié de poids – et, jusqu’à ce que Sa Majesté lui confie des responsabilités supplémentaires, un des rares hommes à qui je puisse confier les affaires du diocèse. Don Vidal et moi nous devons beaucoup, Isaac, et je ne désire pas qu’il y ait rupture entre nous.
    — Je comprends, Votre Excellence. Je n’avais pas l’intention de le contrarier.
    — Eh bien, c’est pourtant le cas, que vous le désiriez ou pas.
    Berenguer retomba sur ses oreillers en poussant un profond soupir.
    — Joaquim constitue un vrai problème, ajouta l’évêque.
    — Si l’on peut découvrir de quel monastère il vient, suggéra Isaac, il vaudrait mieux l’y renvoyer. Si Daniel a pu pénétrer dans le jardin de l’abbaye, n’importe qui le peut aussi.
    — Nul doute que cela soit vrai, Isaac, mais vous n’avez pas répondu à ma question.
    — Laquelle, Votre Excellence ?
    — Ah, je ne sais plus.
    — Je craignais, en me répétant, de vous fâcher davantage, ce qui ne serait pas bon pour vous.
    — Isaac, ce n’est pas ce que je veux entendre.
    — Mes excuses, Votre Excellence. Maître Gualter était mon patient. Il pouvait se montrer insensé mais c’était fondamentalement un brave homme, dont la femme et le fils sont tous deux, chacun à sa manière, d’excellentes créatures. En se dépouillant de presque tout ce qu’il possédait, maître Gualter les a laissés dans une situation terrible. Son épouse a peut-être pour seul recours de vendre ses biens et de se retirer dans un couvent.
    — Eh bien, qu’elle le fasse. C’est une vie saine pour une femme. D’après mes observations personnelles, je dirais que c’est une existence meilleure que bien des mariages – la plupart, peut-être.
    — Cette vie lui conviendra peut-être, je ne sais. Mais il vaudrait mieux qu’elle l’embrasse de son plein gré. Le fils de Gualter n’hérite que d’une énorme dette qu’il est bien décidé à rembourser. Il y a en ville quelqu’un qui détient leur argent. Le récupérer ne ramènerait ni un père ni un mari, certes, mais leur procurerait une existence décente.
    — Bien entendu. Tout ceci est vrai, et je n’ai jamais voulu le nier, mais ce problème relève des tribunaux civils, dit Berenguer avec emphase.
    — Et que font-ils ? insista Isaac.
    — Cette chose, cet objet, est sans aucun doute une fausse relique de plus, comme l’ongle arraché au cadavre d’un mendiant, présenté partout comme celui d’un saint qui n’existe pas et servant à un prédicateur itinérant à mystifier son public avant qu’il fasse passer un sac pour y recueillir des offrandes, lâcha Berenguer avec mépris. Mais il est bien plus dangereux que cela. Je ne puis dire à quel point je suis perturbé par l’apparition à Gérone de ce prétendu Graal.
    Comme pour illustrer son trouble, Berenguer se redressa brusquement dans son lit. Le serviteur se précipita pour couvrir d’un châle les épaules de son maître.
    — Le Graal est probablement faux, poursuivit Berenguer en rejetant le châle, ce qui fait de lui une farce sinistre, une abomination – l’instrument du diable, en un mot.
    — Bien des membres de ma communauté sont d’accord avec vous sur ce point, Votre Excellence, et m’en veulent, tout comme Votre Excellence, de tenter de le retrouver. Le philosophe Shaltiel est de leur nombre.
    — J’en suis heureux. L’autre possibilité, aussi infime soit-elle, est celle de son authenticité. Dans un tel cas, c’est un objet si sacré que je suis indigne de le toucher.
    — Pourquoi ne posez-vous pas le problème à votre archevêque ou même à votre pape ? demanda Isaac.
    — Je l’ai fait. J’ai aussitôt écrit à l’archevêque, et j’ai reçu sa réponse ce matin même. Il veut que toute cette affaire soit réglée avant qu’elle ne déclenche le chaos.
    — Le chaos ? s’étonna Isaac. Voilà un mot