Consolation pour un pécheur
répondrons que nous n’en savons rien, trancha Raquel.
— Non, il n’en est pas question. Vous hausserez les épaules, secouerez la tête d’un air soucieux et direz que cela vous chagrine trop de parler d’un tel désaccord entre un praticien et son patient.
— Nous devons réagir ainsi, seigneur ? demanda Yusuf, choqué.
— Oui. Et de mon côté, je ferai de mon mieux pour abonder dans votre sens à coups de phrases évasives et de semi-vérités.
— Mais pourquoi ? fit Raquel.
— Tu ne tarderas pas à le découvrir, ma chérie. Maintenant, j’ai des tâches spécifiques à vous confier. Écoutez-moi attentivement.
Raquel et Yusuf sortirent par la porte ouest du Call accompagnés de Leah, la servante. Cette dernière était très satisfaite, car elle considérait que porter le panier du médecin constituait un progrès certain pour quelqu’un à qui l’on ne confiait que des corvées domestiques. Elle avait espéré franchir la porte principale du palais. À sa grande déception, ils évitèrent la place, gagnèrent la partie arrière du palais épiscopal et pénétrèrent dans la cuisine.
— Holà, jeune Yusuf ! s’écria le chef cuisinier. Et bonjour à vous, maîtresse Raquel ! Nous sommes heureux de vous voir malgré tous ces problèmes qui vous agitent.
Même son aide abandonna momentanément son air lugubre pour les saluer, car tous deux étaient devenus les préférés de la maison de l’évêque au cours du récent voyage qu’ils avaient effectué ensemble à Tarragone 6 .
— J’ai apporté un panier de remèdes. Papa ne veut pas que Son Excellence manque de quoi que ce soit, expliqua Raquel.
— C’est très aimable de votre part, dit le cuisinier. Nous les poserons dans l’office avec le reste. Le frère Je-ne-sais-plus-qui doit s’y trouver, vous lui direz comment les préparer.
Raquel et Leah s’acquittèrent de cette tâche. Yusuf en profita pour aller discuter avec ceux qui étaient provisoirement inoccupés. Il s’installa à une table, tout au bout des cuisines.
— Mon maître est bouleversé, reconnut Yusuf après s’être fait un peu prier. Profondément bouleversé. C’est toute cette histoire de Graal. C’est ça qui s’est interposé entre eux…
— Je ne vois pas comment, intervint un serviteur venu manger un morceau en attendant l’heure du dîner. Mon maître dit que le Graal est de toute évidence un faux et que personne ne devrait s’y intéresser.
— Ce n’est pas ce que pense mon maître à moi.
Yusuf se pencha et parla à voix basse.
— La coupe est en train de tuer l’évêque. Voilà ce qu’il croit.
— Mais comment ? demanda un marmiton fasciné. Son Excellence ne la détient pas, n’est-ce pas ?
— Pas Son Excellence, expliqua Yusuf, mais l’un de ses ennemis, oui. Et il s’en sert pour jeter des sorts. S’il réussit, nul doute que cela tuera l’évêque.
— Moi, mon maître n’a rien dit de tout ça, fit le serviteur, et pourtant il y a des chances pour qu’il soit le prochain évêque. Il comprend donc ce genre de choses.
— Du moins il le croit, lâcha un autre marmiton d’un air méprisant.
— Qui d’autre que Don Ramon ? reprit son serviteur. Les autres sont trop vieux, trop insignifiants.
Un silence indiqua que chacun était d’accord sur ce point. Ramon de Orta était de toute évidence, pour la petite armée de serviteurs du palais, le meilleur candidat à la course à l’évêché.
— Ton maître croit vraiment que Son Excellence se meurt ?
— Sinon pourquoi se conduirait-elle d’une si étrange façon ? répondit Yusuf, qui prit aussitôt un ton de conspirateur. Changer de médecin alors qu’on est malade, ça, c’est un signe. Même moi j’ai assisté à cela dans les cas les plus graves.
— Et ce n’est pas tout, lança un autre serviteur.
Sur ce, ils se mirent à parler des affaires du palais.
— Oui, seigneur, dit Yusuf, j’ai eu une longue conversation avec le serviteur personnel du chanoine. Il semble avoir l’ambition d’accéder au pouvoir en même temps que son maître. Les informations intéressantes que je lui ai confiées seront transmises au père Ramon avant la tombée de la nuit, j’en suis persuadé. Et demain matin, pour ne pas dire avant, tout le monde sera au courant au palais.
— Je suis satisfait, dit Isaac.
— J’apprécie toujours les cuisines du palais, seigneur. Mais maintenant je vais voir si je peux
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