Consolation pour un pécheur
embarrassée, et décida qu’elle n’aimait pas ce genre de supercherie. Elle appréciait le marchand de laine et sa famille, et cette tentative de manipulation de la femme de Pons la troublait au plus haut point. Elle prit donc congé et envoya chercher Leah, qui bavardait dans la cuisine. Elle n’avait rien appris de plus, mais avait maintenant un autre nom sur sa liste.
Raquel avait une dernière visite à rendre, et c’était à la maison de maître Sebastià. Elle s’en serait bien passée. Soudain, elle se rappela qu’elle avait promis à maître Ephraïm d’apporter un flacon de tonique à maîtresse Dolsa afin de prévenir le retour de la maladie. Elle envoya donc Leah chercher la potion et prit lentement la direction de la boutique du gantier.
Le soleil était assez haut pour éclairer chaque rue, et c’est tout éblouie qu’elle poussa la porte du magasin. Au fond, non loin de la porte de l’atelier, elle entrevit du bleu et entendit la voix familière de Daniel.
— Maîtresse Laura, disait-il d’un ton qu’elle ne lui connaissait pas.
Elle cligna des yeux et sa vision se fit plus nette. Là, à moins de cinq pas d’elle, Daniel tenait Laura Vicens dans ses bras. Elle rejetait la tête en arrière et ses boucles blondes se répandaient sur un comptoir. Daniel était penché au-dessus d’elle, le dos tourné à la porte d’entrée.
Raquel s’empressa de sortir, les joues brûlantes.
Leah apparut au coin de la rue, tout essoufflée d’avoir couru si vite.
— Maîtresse, j’ai votre flacon.
— C’est bien, fit Raquel. Va le donner à maître Daniel, s’il a un moment à te consacrer.
Leah pénétra dans la boutique et en ressortit presque aussitôt.
— Maître Daniel vous remercie et demande si vous voulez entrer un instant dès qu’il aura terminé avec sa cliente.
— Je crois qu’il est déjà assez occupé, répondit Raquel avec froideur. Nous avons d’autres visites à rendre.
— Je lui ai dit que nous devions aller chez maître Sebastià, répliqua Leah d’un air triste.
Raquel n’eut pas le temps de penser à ce qui s’était passé dans l’échoppe du gantier. Chez Sebastià, même secondée par Leah, elle devait rester attentive pour discuter avec le maître de la maison dont les yeux vifs et brûlants la mettaient particulièrement mal à l’aise.
Maître Sebastià vivait dans la terreur constante de la maladie et de l’imminence de la mort. Pâle, un peu rebondi, il avait tout de quelqu’un qui ne fait pas assez d’exercice. Pourtant, elle l’avait appris à ses dépens, il y avait de la force dans ses bras flasques. Un jour, il l’avait saisie par le poignet alors que son père était sorti donner des ordres à la gouvernante à propos du régime alimentaire de son maître, et elle n’avait pas réussi à se libérer, aussi robuste et saine fût-elle.
Après une lutte silencieuse, elle avait crié le nom de son père. Avec un sourire entendu, Sebastià l’avait alors relâchée.
Aujourd’hui, elle se rendit directement à la cuisine pour voir la gouvernante en évitant le maître. Elle avait dans son panier une nouvelle préparation soporifique pour maître Sebastià ainsi qu’une décoction de plantes destinées à favoriser sa digestion.
Elle n’eut pas besoin d’aborder le sujet du Graal. À peine eut-elle laissé des instructions relatives à la préparation des remèdes que déjà elle se retrouvait assise à une table avec des rafraîchissements et les dernières rumeurs. La cuisinière et la gouvernante – mais aussi la fille et le garçon de cuisine, deux enfants maigres à l’air maladif – cessèrent le travail pour se joindre à elle.
Ils lui parlèrent longuement du Graal, le décrivant avec beaucoup de précision et détaillant les événements effrayants dont il était responsable.
— Maria l’a vu sur la place du marché, déclara la fille de cuisine, et elle est devenue aveugle sur-le-champ. Mais elle s’est mise à genoux et a imploré Santa Tecla, et la vue lui est revenue immédiatement.
— Pourquoi Santa Tecla ? demanda le garçon.
— Je n’en sais rien.
Sur ce, les deux enfants se mirent à parler des saints pendant toute la visite de Raquel, sans d’ailleurs être encombrés par la moindre connaissance du sujet. Personne ne leur prêta attention.
— Je me demande, commença Raquel, qui dans cette ville peut bien être assez sot pour donner son or à un escroc. Car c’est ce que
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