Consolation pour un pécheur
l’on dit de lui – de celui qui tente de vendre le Graal.
— Quelqu’un qui a trop d’or et pas assez d’esprit, dit la cuisinière en abandonnant soudain le domaine de la haute spéculation pour celui de la réalité quotidienne. Notre maître, par exemple, qui est trop grippe-sou pour acheter de la viande de qualité.
Un chœur d’acquiescement retentit, et chacun chercha à donner un exemple de sa pingrerie. Mais la cuisinière les fit taire d’un regard.
— Pourtant tout le monde sait qu’il a assez d’or pour entretenir dix maisons. Il le donne aux charlatans et aux prétendus guérisseurs.
C’était apparemment une pomme de discorde avec ses serviteurs, qui se trouvaient bien mal récompensés pour leur dur labeur. À nouveau les exemples de son avarice abondèrent.
— Je vous demande pardon, maîtresse, dit enfin la cuisinière. On ne comptait ni votre père ni vous-même dans ces guérisseurs. Le monde entier connaît vos capacités. Ce sirop pour la gorge que votre père m’a préparé l’hiver dernier m’a empêchée de mourir de faim et de soif.
— Je suis heureuse qu’il vous ait convenu, murmura Raquel.
La cloche du portail arracha le garçon et la fille de cuisine à leur piètre querelle théologique. Le garçon sortit voir de qui il s’agissait pour revenir presque aussitôt accompagné d’une créature portant un tablier malpropre, une fillette encore plus jeune que lui mais mieux nourrie apparemment. Elle s’inclina.
— Êtes-vous maîtresse Raquel ? demanda-t-elle.
— C’est moi.
— Ma maîtresse m’a demandé d’aller vous chercher parce que la jeune maîtresse ne se sent pas bien. Ayant entendu dire que vous étiez ici, elle a demandé que je coure pour voir si vous ne pourriez pas passer.
— Je t’en remercie. Et chez qui dois-je aller présentement ?
Seul un regard vide lui répondit.
— Ta maîtresse, c’est la maîtresse de quelle maison ? demanda Raquel, qui avait beaucoup de mal à ne pas éclater de rire.
— Oh, c’est la maison de maître Vicens, maîtresse Raquel. Maîtresse Alicia m’a demandé d’aller vous chercher pour maîtresse Laura.
À nouveau Raquel sentit le sang lui monter aux joues. La dernière maison de Gérone qu’elle souhaitait visiter, c’était bien celle-ci. Et la patiente qu’elle souhaitait le moins voir, c’était bien maîtresse Laura. Mais au moment où elle allait renvoyer la petite servante, elle se souvint que le nom de maître Vicens se trouvait sur la liste établie par son père. Elle se força à sourire.
— Dis à ta maîtresse que je viendrai dès que j’en aurai terminé ici.
— Maître Isaac croit-il que le Graal est ici en ville ? attaqua la cuisinière dès que la servante de maître Vicens fut partie.
— Oui, répondit Raquel avec hésitation. Du moins trouve-t-il cela probable.
— Et qu’en pense Son Excellence ? Est-elle d’accord avec maître Isaac ?
— Je crains que Son Excellence et mon père ne soient pas d’accord sur ce point.
— C’est donc vrai qu’ils se sont disputés ? On a entendu parler d’une querelle.
— C’est vrai.
— Il paraît aussi que maître Isaac n’est plus le médecin de l’évêque ?
— Oui.
— On nous l’avait dit, intervint la gouvernante, mais personne ne pouvait y croire. Mais entre nous, ajouta-t-elle, avide de nouvelles, c’est seulement à propos du Graal qu’ils se sont disputés ? Quelqu’un m’a raconté…
La cuisinière lui donna un coup de coude dans les côtes et elle se tut.
Raquel se leva pour s’en aller. Chacun ici avait envie de se répandre en commérages la journée durant et de critiquer le maître avaricieux, mais elle avait dit ce qu’elle voulait et ils ne pourraient rien lui apprendre d’utile.
Maîtresse Laura se trouvait dans son lit, couchée sur le côté, le visage livide – verdâtre, même, d’après ce qu’en voyait Raquel. Ses cheveux couleur de miel étaient défaits sur l’oreiller ; des cernes sombres marquaient ses yeux bleus. Elle portait une robe ample sur sa chemise.
Raquel tira une chaise à elle et lui prit la main. Elle était glacée.
— Dites-moi ce qui ne va pas, maîtresse Laura.
Elle secoua la tête.
— Oh, ce n’est rien, maîtresse Raquel. Mes affaires habituelles… Mais je me sentais si mal et je souffrais tant que maman a paniqué et vous a fait appeler. Vous voyez, on ne peut rien pour moi.
— Mais si.
Raquel sonna la
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