Consolation pour un pécheur
jusqu’à l’endroit où vous devez attendre. Quant à reconnaître maître Isaac, c’est une autre paire de manches. Après tout, ce n’est qu’un homme, non ? Comme tous les autres hommes. Sauf qu’il y a quelques petites différences entre lui et les autres, évidemment. Il est d’une taille inhabituelle et assez large d’épaules. Mais ils sont nombreux ainsi, j’en conviens. C’est un médecin, et il porte la longue tunique de sa profession – les autres praticiens aussi, d’ailleurs. Il emporte toujours un lourd bâton.
Sa voix monta d’un cran sous l’effet de la colère.
— Et si cela ne vous suffit pas, rappelez-vous que c’est un Juif, qu’il a une cape et une barbe brune, bien plus longue que la plupart des gens d’ici, et qu’il est aveugle. Le moindre gamin de cette ville le connaît. Mais si vous autres, bande d’ignares, n’arrivez pas à le distinguer du reste des habitants de Gérone, vous n’avez qu’à retourner tout de suite d’où vous venez.
Il se radoucit.
— Hélas, tous mes hommes seraient instantanément reconnus par les coquins que nous recherchons. C’est pour ça que je fais appel à vous.
— Oui, sergent.
— Vous savez quoi faire quand vous le verrez ?
— Oui, sergent.
— Alors dites-le-moi. Je veux être sûr que vous avez bien compris les trois premières fois où je vous l’ai expliqué.
Dans la grange vide où Yusuf s’efforçait de rester éveillé, les hommes jouaient aux dés au rez-de-chaussée. Le mouvement de leurs corps et leurs murmures quand les petits cubes en os roulaient sur le sol créaient un fond sonore dont il pourrait profiter pour se déplacer dans le foin sec. Cela vaudrait mieux que de rester immobile.
Il rampa très lentement en direction du plus gros rai de lumière, qui fusait à travers deux planches mal jointes. L’espace était juste assez large pour qu’il vît à l’extérieur. Il aperçut un pré et, au loin, la roche et le vert sombre des montagnes. À en juger d’après la couleur de la lumière, le soleil n’allait pas tarder à se coucher.
— Six ! cria l’un des hommes. Encore à moi !
— Ah non, fit l’autre, ça fait trois fois.
— Bon, c’est à toi. Un demi-sou le point.
Bruit des dés qu’on secoue dans un cornet, roulement sur le sol, rebondissement contre une planche, halètement. Puis, presque aussitôt, nouveau bruit de dés qui roulent. La partie devenait de plus en plus passionnée. L’excitation de ses gardiens donnait à Yusuf l’occasion de poursuivre l’exploration de son environnement.
Il découvrit rapidement l’entrée de cette petite prison : une trappe au centre de la pièce. Il la souleva doucement et regarda. Une échelle était posée contre un mur, hors de portée.
Au crépuscule, les deux nouveaux membres de la garde épiscopale avaient également posé un genou à terre sur une petite place peu éloignée de la demeure de maître Vicens. Eux aussi jouaient aux dés à un demi-sou le point. Ils avaient attiré une petite foule d’enfants admiratifs. Un des gardes avait déjà amassé un trésor constitué de cinq ou six pièces quand un homme de haute stature arriva accompagné d’un jeune garçon. Malgré la chaleur du soir, sa capuche était relevée et dissimulait en partie sa barbe. Il marchait d’un pas rapide, déterminé.
— Voilà maître Isaac, dit le plus petit des enfants.
— Ah oui ? fit un autre sans prendre la peine de regarder.
La partie était autrement plus passionnante que la vue d’une silhouette familière.
— Regarde-moi ça, fit l’un des gardes. C’est presque le soir. Si on ne se dépêche pas, on va être en retard.
— Ça, c’est sûr.
L’autre adressa un clin d’œil aux enfants et leur lança ses gains, puis les deux hommes s’engagèrent dans la rue.
Ils se séparèrent peu après, l’un d’eux suivant l’homme et le garçon en direction de la porte sud de la ville, et son compagnon disparaissant dans une ruelle où le sergent l’attendait en compagnie de deux autres gardes.
Celui qui suivait l’homme de haute stature était lent et maladroit. Près de la porte, il faillit heurter l’objet de son attention quand celui-ci s’arrêta brutalement et dit quelques mots au garçon, qui décampa immédiatement. Il les regarda l’un après l’autre, indécis, ne sachant lequel il allait devoir suivre.
Il fut un instant tenté d’opter pour le jeune garçon. Au casernement, on avait
Weitere Kostenlose Bücher