Consolation pour un pécheur

à eux. Il en entendit assez pour comprendre qu’il se passait des choses graves.
     
    Leah partit aider Naomi à préparer le souper.
    — Je vais aller voir si je peux être utile en quoi que ce soit, dit Raquel.
    — C’est ridicule, ma chérie, fit Judith. Si ces deux-là n’arrivent pas à faire un repas toutes seules, nous n’avons plus qu’à chercher de nouveaux serviteurs. J’ai déjà passé une heure à la cuisine, aujourd’hui. Tu resteras ici avec nous. Ton père peut avoir besoin de toi.
    On ne peut plus mal à l’aise, Raquel prit un siège, le plus proche possible de ses parents, et contempla le sol. Le silence s’abattit sur le petit groupe.
    Une feuille voleta devant Daniel. Il la saisit au vol et la déchira en petits morceaux.
    — Je suis arrivé à un moment inopportun, maîtresse Judith, dit-il. Si je ne puis vous aider d’aucune façon, je vais prendre congé.
    — Il n’y a rien de privé là-dedans, dit Isaac. Pour l’instant, tout au moins.
    — Yusuf n’est pas rentré ?
    Aussi brièvement que possible, Isaac lui exposa la situation.
    — Tout ceci peut paraître bien futile, mais cela ne lui ressemble pas.
    — Il erre beaucoup seul en ville, n’est-ce pas, maître Isaac ? Chacun ici s’en plaint.
    — Non, firent en même temps Raquel et son père.
    — Jamais quand il sait qu’on a besoin de lui, ajouta le médecin. Ou quand il doit voir son professeur. S’il n’a rien à faire…
    — Il disparaît, intervint Judith. Il s’évanouit, comme une ombre dès que le soleil passe derrière un nuage. Il suffit de tourner la tête, et il est parti.
    — Yusuf est parfois insouciant, Daniel, dit Raquel, qui paraissait très inquiète. Il ne réfléchit pas toujours. Il s’en est bien tiré si souvent qu’il se croit invulnérable. Mais vous savez, papa, si quelqu’un lui a demandé de se rendre à la campagne, il ne l’aura fait qu’en s’assurant qu’il sera bien là avant que vous n’ayez besoin de lui. Quand vouliez-vous le voir ?
    — Au coucher du soleil. Mais qui a pu l’envoyer en course ? Pas moi, en tout cas. Je voulais qu’il rentre apporter un message – bref mais important. Il n’aurait pu l’ignorer.
    — Que s’est-il passé, selon vous ? demanda Raquel.
    — Il s’est fait prendre, d’une façon ou d’une autre.
    — Pourquoi voudrait-on l’enlever ? s’étonna Daniel.
    — Pour le vendre, dit Judith d’une voix monocorde.
    — Nous ne devons pas y penser. Pas encore. Réfléchissez, Judith. Un trafiquant ne pourrait le vendre à Gérone. Il est trop connu. Et pour lui faire franchir les portes de la ville, il faudrait le cacher.
    — Nous devons avertir la garde, proposa Daniel. Le plus vite possible. Qu’ils se rendent aux portes.
    — Nous avons déjà envoyé le garçon de cuisine voir s’il était sorti, mais vous avez raison, il faut prévenir la garde.
    — Je m’en occupe, fit Daniel. Immédiatement.
    — S’il ne s’agit pas d’un trafiquant, dit Raquel, qui est-ce ?
    — Quelqu’un désire peut-être me voir sortir seul ce soir, répondit Isaac.
    — Pourquoi enlever Yusuf ? Les gens croient-ils donc que vous n’avez pas d’autres amis ? s’étonna Raquel. Et que si Yusuf n’est pas là, vous devez sortir seul ?
    — Je le faisais souvent, il n’y a pas si longtemps.
    — Les gens croient aussi que vous vous êtes disputé avec l’évêque, surenchérit sa femme. Ils pensent peut-être que vous aurez quelque difficulté à trouver un nouveau compagnon. À moins que vous ne preniez Ibrahim, ajouta-t-elle après un instant.
    Isaac ne répondit pas tout de suite.
    — Est-ce que l’on croit vraiment que, sans Son Excellence, je suis coupé de toute ressource ?
    — Pourquoi pas ? lâcha Judith d’un ton acerbe. En dehors d’Ibrahim, nous n’entretenons pas une armée de colosses chargés de veiller sur vous quand vous sortez. En cas de danger, vous restez ici ou l’évêque envoie ses hommes vous chercher.
    — De plus, Ibrahim serait incapable de protéger une souris pleine de vivacité d’un vieux matou.
    — Ce n’est pas gentil, ma chérie.
    — Peut-être, mais c’est pourtant vrai.
    — C’est un serviteur honnête et consciencieux, reprit Isaac. Mais tu as peut-être raison, mieux vaut ne pas compter sur lui quand l’heure est au danger.
    — C’est vrai, ajouta Judith. Il est de belle taille, mais il pourrait assommer un parfait innocent. Isaac, vous croyez