Conspirata
aujourd’hui,
mais jouera contre toi demain auprès de tous les hommes raisonnables.
— Je prends le risque.
— Tu as conscience du fait qu’en tant que consul je
vais être obligé de le défendre ?
— Eh bien, ce serait une grave erreur, Marcus – si
je peux te parler moi aussi en toute amitié. Représente-toi l’équilibre des
forces auquel tu seras confronté. Nous avons le soutien de la plèbe, les
tribuns, la moitié des préteurs – en fait, même Antonius Hybrida, ton
propre collègue au consulat, est de notre côté ! Que te reste-t-il ?
Les patriciens ? Mais ils te méprisent ! Ils te jetteront dès que tu
ne leur seras plus utile. De mon point de vue, tu n’as qu’une seule option
possible.
— Qui est ?
— De te joindre à nous.
— Ah.
Cicéron avait coutume de jauger les gens en appuyant le
menton dans la paume de sa main. Il examina un instant César dans cette
posture. Puis il demanda à voix basse :
— Ce qui supposerait ?
— De soutenir notre programme.
— Et en échange ?
— Je dirais que mon cousin et moi trouverions
certainement au fond de notre cœur quelque mansuétude à l’égard du pauvre
Rabirius, vu son esprit diminué.
Les lèvres minces de César souriaient, mais ses yeux sombres
restaient fixés sur Cicéron.
— Qu’est-ce que tu en dis ?
Avant que Cicéron ne puisse répondre, nous fûmes interrompus
par le retour de l’épouse de César. Certains prétendent que César n’épousa
cette femme, qui s’appelait Pompeia, que sur l’injonction de sa mère car la
jeune fille avait des liens familiaux fort utiles au sénat. Mais d’après ce que
j’ai vu cet après-midi-là, je dirais que ses attraits étaient d’un ordre
beaucoup plus immédiat. Elle était nettement plus jeune que lui, vingt ans à
peine, et le froid avait joliment coloré ses joues et sa gorge tout en donnant
un éclat particulier à ses superbes yeux gris. Elle embrassa son mari, se
frottant contre lui comme un chat, puis fit presque autant fête à Cicéron,
louant ses discours et même un recueil de ses poèmes, qu’elle assura avoir lu.
Il me vint à l’esprit qu’elle était ivre. César la contemplait d’un œil amusé.
— Ma mère veut te voir, annonça-t-il, suscitant une
grimace de petite fille. Allez, vas-y, ordonna-t-il, et ne fais pas la tête. Tu
sais comment elle est.
Et il lui donna une petite tape sur le derrière pour la
faire partir.
— Toutes ces femmes, César, fit observer Cicéron sur un
ton pince-sans-rire. D’où va-t-il encore en sortir ?
— Je crains que tu n’emportes une mauvaise impression
de moi, répondit-il dans un rire.
— Mon impression n’a pas changé, je t’assure.
— Alors, pouvons-nous nous entendre ?
— Tout dépend du contenu de ton programme, répondit
Cicéron. Nous n’avons eu jusqu’à présent que des slogans électoraux. « La
terre aux sans terre », « À manger pour les affamés ». J’aurai
besoin d’un peu plus de détails que ça. Et aussi, peut-être, de quelques
concessions… ? ajouta-t-il en adressant à César un regard entendu.
César ne réagit pas. Il conserva un air inexpressif. Au bout
d’un moment, le silence devint pesant et ce fut Cicéron qui y mit un terme d’un
grognement, tout en se retournant.
— La nuit tombe, me dit-il. Nous rentrons.
— Déjà. Tu ne veux pas prendre quelque chose ?
proposa César. Je te raccompagne, alors.
Il se montrait d’une parfaite amabilité : son attitude
était toujours irréprochable, même quand il condamnait quelqu’un à mort.
— Réfléchis, reprit-il en nous accompagnant dans le
couloir défraîchi. Si tu te joins à nous, ton mandat sera tellement plus
facile. À cette époque, l’année prochaine, ton consulat arrivera à son terme.
Tu quitteras Rome. Vivras dans un palais de gouverneur. Gagneras assez d’argent
en Macédoine pour avoir de quoi vivre jusqu’à la fin de tes jours. Puis tu rentreras.
Achèteras une maison dans la baie de Naples. Étudieras la philosophie. Écriras
tes mémoires. Alors que…
Le portier s’avança pour aider Cicéron à mettre son manteau,
mais Cicéron le repoussa d’un geste et se tourna vers César.
— Alors que quoi ? Si je ne vous rejoins pas ?
Qu’est-ce qui se passera ?
César afficha une expression de surprise peinée.
— Rien de tout cela ne te vise personnellement. J’espère
que tu le comprends. Nous ne te voulons aucun mal. En fait, je
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