Conspirata
l’observer, bouche ouverte.
— As-tu connaissance du prétendu sacrilège commis
contre la Bonne Déesse ? questionna Fufius.
— Oui.
— Soutiens-tu la proposition du sénat de faire passer
Clodius devant un tribunal ?
— Oui.
— Même si le préteur urbain doit en être le juge ?
— Je suppose que oui, si telle est la procédure décidée
par le sénat.
— Mais où est la justice dans tout ça ?
Pompée regarda Fufius comme s’il était un insecte bourdonnant
qui refusait de le laisser tranquille.
— Je considère l’autorité du sénat comme souveraine,
déclara-t-il avant de délivrer sur la constitution romaine un exposé digne d’un
enfant de quatorze ans.
Je me tenais avec Cicéron à l’avant de cette foule immense
et sentis l’attention du public se dissiper à mesure que Pompée poursuivait.
Bientôt, les gens s’agitèrent et se mirent à discuter. Les vendeurs de
saucisses chaudes et de pâtisseries qui se trouvaient à la périphérie ne
tardèrent pas à être assaillis. Pompée était, dans le meilleur des cas, un
orateur ennuyeux et, tandis qu’il parlait à cette tribune, il dut se dire qu’il
vivait un mauvais rêve. Il avait imaginé tant de visions d’un retour triomphant
lorsqu’il était couché, la nuit, sous les étoiles brûlantes d’Arabie… et voilà
donc ce qui l’attendait ? Un sénat et une plèbe obsédés non par ses
exploits mais par les frasques d’un jeune homme déguisé en femme !
L’assemblée publique enfin terminée, Cicéron conduisit
Pompée de l’autre côté du cirque de Flaminius, au temple de Bellone, où le
sénat avait décidé de le recevoir. Accueilli là-bas par une ovation
respectueuse, il prit place près de Cicéron, au premier rang, et attendit que
les éloges commencent. Au lieu de quoi, il dut répondre à de nouvelles questions
de la part cette fois du consul, sur ce qu’il pensait du sacrilège. Il répéta
ce qu’il venait de déclarer dehors et, lorsqu’il eut regagné sa place, je le
vis se tourner pour chuchoter des propos irrités à l’oreille de Cicéron.
(Cicéron me rapporta ensuite que ses paroles exactes avaient été : « J’espère
que nous allons à présent pouvoir parler d’autre chose. ») Pendant toute
la scène, j’avais gardé un œil sur Crassus, assis au bord de son banc, prêt à
bondir dès que l’occasion se présenterait. Il y avait quelque chose dans sa
volonté de parler, et dans la fourberie satisfaite de son expression, qui ne me
plaisait guère.
— Pères conscrits, commença-t-il, comme il est
merveilleux d’avoir sous ce même toit sacré l’homme qui a étendu notre empire
et, assis près de lui, l’homme qui a sauvé notre république ! Bénis soient
les dieux qui ont permis que cela s’accomplisse. Pompée, je le sais, se tenait
prêt à accourir avec son armée à l’aide de la patrie si cela s’était révélé
nécessaire – mais, loués soient les cieux, cette peine lui fut
épargnée par la sagesse et la clairvoyance de notre consul de l’époque. J’espère
ne rien retirer à Pompée quand je dis que, si je suis sénateur, citoyen, homme
libre, si je vis encore, c’est à Cicéron que je suis redevable. Chaque fois que
je regarde ma femme, mes enfants, ma maison ou la cité de ma naissance, je vois
autant de témoignages des bienfaits de Cicéron…
Il fut un temps où Cicéron aurait flairé un piège aussi
grossier à des milles de distance. Je crains cependant qu’il n’y ait en chaque
homme qui parvient à accomplir l’ambition de sa vie une frontière bien mince
entre la dignité et la vanité, la confiance et l’aveuglement, la gloire et l’autodestruction.
Au lieu de rester assis et de réfuter modestement toutes ces louanges, Cicéron
se leva et prononça un long discours pour corroborer chaque mot de la
péroraison de Crassus, pendant qu’à côté de lui Pompée bouillait de jalousie et
de ressentiment. Tandis que je l’observais depuis la porte, j’avais envie de
courir vers Cicéron en lui criant de se taire, surtout quand Crassus se leva
pour lui demander si, en tant que Père de la Patrie, il voyait en Clodius un
second Catilina.
— Comment pourrait-il en être autrement, rétorqua
Cicéron, incapable de résister à cette occasion de faire revivre les jours
glorieux de son consulat devant Pompée, alors que les mêmes débauchés qui
suivaient le premier s’amassent derrière le second et que les mêmes
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